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Parodies

Futur antérieur

n° 29, p.7-9, mars 1995




Le spectacle donné par l’équipe au pouvoir depuis l’élection présidentielle a été particulièrement lamentable. Elle a d’abord voulu donner l’impression qu’elle allait agir avec vigueur contre la ‘fracture sociale ». On a vu le président de la République enjoindre aux préfets d’obtenir des résultats contre le chômage alors qu’ils ont très peu de moyens dans ce domaine. Le premier ministre Alain Juppé a fait savoir qu’il tiendrait les promesses de Jacques Chirac, mais les contrats initiative-emploi qu’il a mis au point n’ont pas eu d’effets notables sur le niveau du chômage. Au lieu de diminuer la pression fiscale comme l’avait promis le candidat Chirac, le gouvernement a augmenté les impôts tout en cherchant maladroitement à diminuer les déficits publics ce qui n’a pourtant pas entamé la méfiance des marchés financiers.
Dans ce climat, rendu encore plus morose par les attentats et les effets de la reprise des expériences atomiques, le gouvernement a été peu à peu saisi par une sorte d’immobilisme activiste. Les effets d’annonce non suivis d’effets, les déclarations contradictoires se sont multipliées. Apparemment certains ministres voulaient faire entendre leurs différences et tirer leur épingle du jeu alors que d’autres ne savaient plus à quel saint se vouer. L’orientation gouvernementale ne pouvait guère être autre chose qu’un simulacre d’orientation et l’intervention télévisée de Jacques Chirac le 26 octobre 95 a bien montré que c’était les pressions extérieures qui indiquaient le cap à suivre. La lutte contre la ‘facture sociale » est renvoyée à plus tard alors que les phénomènes de précarisation sociale sont de plus en plus nombreux et massifs.
Dans ce contexte, on aurait pu s’attendre à de vifs débats politiques. Or, il n’en a rien été. La droite balladurienne a mené une guérilla feutrée sur le budget sans attaquer véritablement le gouvernement. Philippe Seguin a mis de côté l »‘autre politique » en attendant des jours meilleurs. Plus étonnant encore, du côté du parti socialiste, les critiques ont été très modérées, mais surtout quasi inaudibles. Les socialistes en train de présidentialiser leur parti ont pensé que le temps travaillait pour eux et qu’il valait mieux ne pas trop s’avancer sur les solutions à préconiser. Quant au parti communiste, ridiculisé par ses propositions d’opposition constructive (au cours de l’été 95), il a essentiellement voulu faire savoir qu’il était partisan d’une opposition conséquente et radicale à l’équipe Chirac.
Tout se passe comme si on était en train d’atteindre le degré zéro de la politique, comme si la politique n’était plus qu’une parodie, sinistre, réduite à une suite d’incantations masquant impuissance et désarroi. Cette atonie des sommets n’est pourtant pas partagée par la base de la société qui elle n’a pas de raisons de se laisser aller au cours des choses. Ces derniers mois les grèves se sont multipliées et la mobilisation des fonctionnaires en octobre contre le gel des traitements a rencontré beaucoup de sympathies parce qu’elle symbolisait le refus de l’insécurité du travail et de l’emploi dans des couches très importantes de la société. Le chômage, en effet, ne touche pas que les chômeurs, puisqu’il menace aussi bien la majorité des salariés, y compris une grande partie des cadres que la majorité de ceux qui ne sont pas encore entrés sur le marché du travail (lycéens, étudiants). Les réactions qui sont en train de se produire à propos de la sécurité sociale montrent en même temps que très nombreux sont ceux qui ne veulent pas une reproduction rétrécie de l’Etat-Providence et l’alignement sur les stratégies des marchés financiers. A partir de là une nouvelle combativité peut se dessiner et conduire à des mouvements d’ampleur.
Les luttes qui se produisent à l’heure actuelle sont forcément défensives mais, comme elles ne disposent plus des relais politiques traditionnels, elles peuvent être à l’origine de nouvelles formes de politisation, par exemple recherche de politiques nationales coordonnées à l’échelle européenne en réaction contre les diktats du capital financier, concertations transnationales pour de nouvelles pratiques économiques et de nouvelles pratiques de service public pour aire face à la déréglementation sauvage. L’État national isolé est forcément perdant, des États nationaux qui poursuivent des objectifs communs imposés par les luttes sociales peuvent bouleverser en profondeur les données de la politique. Contre la paralysie politique qui gagne peu à peu les États européens, c’est la seule perspective réaliste.





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(1934-2004)