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L’Outil Marx

Marx après les marxismes

avec Michel Vakaloulis - L’Harmattan, t. 2 : Marx au futur, p. 7-8, 1997




Il y a un paradoxe étonnant dans la situation actuelle : les capitalistes, pris dans la vague de la mondialisation, s’acharnent à donner raison à Marx dans leur frénésie « économiste ». A la bouche, ils n’ont plus guère que les mots de flexibilité du travail, d’adaptation rapide aux marchés, de concurrence créatrice malgré toutes les destructions que cela entraîne. Ils sont vraiment devenus les fonctionnaires du capital dont parle Marx et, quotidiennement, font de l’économie une véritable religion, le pire des opiums du peuple.

Toutefois force est de constater qu’il n’est pas si simple de faire fonctionner les outils dont s’est servi Marx. Il n’est même pas exagéré de dire qu’on a souvent du mal à comprendre de quoi ils sont faits, à quoi ils peuvent s’appliquer et comment ils se complètent. Les difficultés s’aggravent si l’on songe qu’ils sont indissociables de l’objet ou des objets que Marx s’est donné au fil de son travail obstiné, tels le capital, la valeur ou la lutte de classes. Cela veut dire que la réappropriation de la boîte à outil marxienne ne peut être séparée d’une réflexion critique sur le champ théorique qu’il a construit, sur les phénomènes qu’il a repérés et mis en lumière, sur les perspectives qui étaient les siennes.

Aujourd’hui, il faut enfin sortir de la posture de deuil, attitude qui convient exclusivement aux dévots de Marx, et raviver une réflexivité originale, à la fois destructrice dans son élan et inventive dans son déploiement, intégrée dans l’histoire vivante. Le refoulement de l’héritage marxien, l’encryptage de la dette marxienne, la dénégation, clamée ou taciturne, de Marx, toutes les démarches qui équivalent à autant de substituts masqués de sa mort, ne pourraient être efficacement combattues que si l’on parvient à déplacer les anciennes lignes d’horizon et à formuler de nouvelles questions afin de réaménager les problématiques marxiennes.

En réalité, les textes de Marx ne parleront à nouveau clairement que si on en modifie et élargit les codes. Dialoguer avec lui, ce n’est pas seulement l’interroger sur les erreurs qu’il a pu commettre, les pièges dans lesquels il a pu tomber : c’est le faire aller au-delà de ce qu’il a réussi à écrire. Marx ne peut être redécouvert que si l’on se mesure avec lui, avec ses projets et avec l’avenir qu’il désirait et espérait, à partir d’interrogations qui portent sur les cheminements du monde actuel. Repenser avec Marx, à proprement parler, n’est point un enjeu purement intellectuel, mais une tâche du présent pour faire face aux tendances destructrices qui traversent d’un bout à l’autre la phase présente du capitalisme.

Dans ce deuxième tome de Marx après les marxismes, les contributions qu’on va lire s’efforcent de faire travailler la boite à outil de Marx sur les problèmes actuels. Qu’il s’agisse des problèmes de la politique, des rapports d’exploitation et d’oppression, du rôle de la théorie critique dans la société d’aujourd’hui, Marx, au-delà des apparences du monde enchanté de la marchandise, est le penseur qui détruit la fausse solidité des rapports naturalisés du capital et fait ressortir l’immanence de l’antagonisme qui fonde la modernité capitaliste en tant que telle.





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(1934-2004)