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Ambiguïté stratégique

Tribune socialiste

n° 363, p. 12, 7 mars 1968




Les réactions « les gaullistes à la plateforme commune du P.C.F. et de la F.G.D.S. ont été celles qu’on pouvait attendre. Maintenant qu’on ne peut plus accuser les communistes et les fédérés de ne pas aborder avec sérieux les questions d’orientation et de programme, on luit comme Georges Pompidou ou Robert Poujade, on les accuse de menacer la démocratie. Est-il besoin de dire que ce genre d’accusations ne nous paraît pas sérieux. Personne, même à l’U.D. Ve République ne croit vraiment que les communistes (et encore moins les fédérés) songent à installer en France un régime de démocratie populaire du plu » pur type stalinien.
Par contre les divergence » d’interprétation auxquelles l’accord a donné lieu dans l’opposition posent tout une série de problèmes de première importance. René Pleven, dont on connaît les options « progressistes » a pu y voir le gage d’une politique modérée, alors que dans la Convention des institutions républicaines on veut y voir une avancée vers le socialisme. Georges Guille, Jules Moch se montrent très réservés quant à une collaboration gouvernementale avec les communistes pour appliquer la plateforme, pour ne pas parler de Christian Pineau, alors que plusieurs responsables S.F.I.O. y sont au contraire favorable ». On pourrait d’ailleurs multiplier les exemples de ce type à propos de beaucoup de questions essentielle ».

Une formule équivoque

Comment expliquer cet état de choses. Il y a bien sûr les silences du texte, scs incertitudes sur de nombreux points. Mais plus que cela. il y a une ambiguïté fondamentale d’ordre stratégique dans le document. Le préambule du texte affirme : « La F.G.D.S. et le P.C.F. agiront en commun afin d’instaurer une démocratie authentique et moderne capable de répondre à l’idéal de notre peuple, à l’intérêt de notre pays et aux exigence » de notre temps. » Cette formule générale que n’importe quelle formation politique française, sauf celles d’extrême droite, pourrait admettre dans son imprécision, n’est pas véritablement la définition d’un objectif stratégique. Elle ne fait que masquer l’existence de deux stratégies, celle du P.C.F. et celle de la F.G.D.S. qui sont encore loin de converger.

La stratégie de la F.G.D.S.

L’objectif stratégique de la F.G.D.S. (ou si l’on veut sa conception de l’arrivée au pouvoir et de l’exercice du pouvoir), est défini par son texte programmatique de juillet 1966 pour l’essentiel et bien entendu, par les prises de position autorisées de ses leaders. On peut le résumer de la façon suivante : la F.G.D.S. doit constituer la principale force d’opposition au gaullisme afin de représenter potentiellement la formation gouvernementale de l’après-gaullisme. Dans ce but elle doit à la fois se faire le porte-parole de tous ceux que rebute l’autoritarisme gaulliste (le thème démocratique) et de ceux qui supportent de plus en plus mal la politique économique et sociale rétrograde du gouvernement. En un certain sens, la F.G.D.S. entend donc promouvoir une solution de rechange globale par rapport à la situation actuelle, mais il ne faut pas comprendre cette solution de rechange comme une solution radicale et profonde. Les leaders de la F.G.D.S. se sont au con traire montrés soucieux de ne pas effaroucher trop de monde et de montrer qu’ils n’avaient pas l’intention de bouleverser toute la vie économique et sociale. Ils veulent rendre leur entreprise acceptable au plus grand nombre possible d’électeurs et plus précisément à ces électeurs flottants qui n’aiment pas les expériences et les innovations. C’est à ce moment qu’on retrouve le problème du centrisme.
Il n’y a aucune raison de ne pas croire les leaders les plus importants de la F.G.D.S. lorsqu’ils affirment que dans les circonstances actuelles toute alliance en bonne et due forme avec les centristes est exclue. Mais il faut bien voir en même temps qu’ils ont la volonté de donner une satisfaction au courant centriste en l’introduisant à l’intérieur de leur dispositif (l’entrée de Maurice Faure et de Félix Gaillard dans les organismes dirigeants de la Fédération en est un exemple).
Bien entendu, il serait faux d’en conclure que l’orientation de la F.G.D.S. sera déterminée en totalité par ce* éléments centristes, mais il est clair que ce n’est pas sans conséquences. Pour obtenir la collaboration de ces forces de droite il faut leur faire en permanence un minimum de concessions et faire de la F.G.D.S. une sorte de parti inter-classes la manière du parti démocrate américain où le représentant des travailleurs voisine avec celui du grand patronat, où l’on défend à la fois la libre entreprise et l’intervention de l’Etat.
Cette volonté de synthèse et de respectabilité n’est nulle part aussi évidente que dans le domaine de la politique étrangère. La F.G.D.S. est bien sûr, contre les bombardements américains du Vietnam du Nord, contre la domination des puissances d’argent en Europe, mais aussi pour le maintien du pacte atlantique, pour la solidarité occidentale et pour une Europe politique dont l’élargissement et la consolidation se feraient à partir des bases actuelles.
Selon François Mitterrand dans la conclusion de son récent article du « Monde », il s’agit même de la perspective stratégique essentielle. De ces choix de politique extérieure découlent logiquement des conséquences inéluctables en politique intérieure : en particulier la politique économique est très directement soumise aux pressions des grands oligopoles internationaux ainsi qu’au flux et au reflux de mouvements de capitaux du monde occidental. Toute politique de réformes de structures audacieuses et favorables aux travailleurs est par là même obérée au départ. Il ne reste alors qu’une politique de sage administration des affaires courantes, agrémentée dans la meilleure hypothèse par des réformes techniques (crédit par exemple) qui ne changent rien aux rapports entre les classes. Claude Fuzier essaye bien de nous assurer du contraire, mais on voit mal comment la politique qu’il semble préconiser pourrait être appliquée si la F.G.D.S. s’en refuse les moyens.

La stratégie du P.C.F.

La stratégie que le P.C.F. met en avant est-elle beaucoup plus consciente des obstacles que la gauche et le mouvement ouvrier peuvent rencontrer ? On sait que la fameuse phrase incriminée par Pompidou (sur les mesures à prendre pour faire échec aux tentatives de toute nature visant à empêcher un gouvernement de gauche de mettre en œuvre son programme) a été reprise dans le texte final à la suite de l’insistance des représentants communistes. Ils ont indéniablement eu raison de le faire, car on peut être certain que les gaullistes ne sont pas prêts à abandonner le pouvoir si facilement et que les grandes sociétés capitalistes sont tout à fait décidées à conditionner par des pressions d’ordres divers un gouvernement de gauche. Mais on peut se demander alors si la perspective d’une « démocratie véritable, antimonopoliste » est bien l’objectif, à la fois réaliste et mobilisateur qui doit être visé. S’attaquer aux grandes concentrations capitalistes, comme le demande à juste titre le P.C.F., ce n’est pas seulement s’attaquer « à une petite poignée de monopoleurs », mais à tout un système étroitement imbriqué dans le tissu social. On ne s’attaque pas aux puissances dominantes de l’économie sans toucher à beaucoup d’intérêts diversement reliés aux intérêts des grandes entreprises, sans déranger beaucoup d’habitudes acquises, bref sans bouleverser les relations sociales en profondeur. On retrouve d’ailleurs le même type de problèmes lorsqu’on veut comme le P.C.F. mettre ail premier plan la satisfaction « l’un certain nombre de revendication » sociales. Four les satisfaire, en effet, il faut opérer des choix qui lèsent forcément un certain nombre d’intérêts acquis. Qu’on se place donc dans l’hypothèse de nouvelles nationalisations ou d’une tentative de redistribution des revenus, il faut se préparer dans chaque cas à empiéter sur les mécanismes du profit et à faire face à une grève de l’investissement. C’est dire que même si l’on n’envisage pas de nationaliser tous les secteurs de l’économie, il faut se donner les moyens d’insuffler à l’économie un dynamisme qui ne vient pas de la recherche du profit maximum. Pour cela il faut disposer d’un secteur socialisé « le l’économie et pouvoir compter sur une mobilisation en profondeur des travailleurs, convaincus qu’il faut assumer certaines difficultés en fonction « le l’enjeu qui est de changer leur condition. On ne peut donc concevoir l’objectif comme celui de la mise en place d’un gouvernement d’union démocratique, c’est-à-dire d’union relativement indifférenciée entre des couches sociales hétérogènes sous le signe de l’équivoque, mais comme la mise en place d’un gouvernement au service des travailleurs reposant sur une alliance où les contradictions sociales entre le différentes composantes sont surmontées par une perspective de transformation socialiste.

Le vrai problème

Telles sont les réflexions que l’accord du 24 février devrait susciter chez les militants socialistes. Lee divergences stratégiques qui y transparaissent ne doivent pas étonner, ou conduire à la dénonciation abstraite à partir de principes abstraits, mais amener à discuter sur l’essentiel pour clarifier le » objectifs. Le P.S.U., pour sa part, entend contribuer à cette clarification en refusant les faux-fuyants, en faisant les propositions qui sont susceptibles de préciser l’objectif stratégique : la transition vers le socialisme.





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