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Vers une nouvelle étape de l’escalade

Tribune socialiste

n° 295, p. 6, 1er octobre 1966




Le discours du représentant américain à l’O.N.U. Goldberg devant l’assemblée générale, la rencontre Gromyko-Rusk, enfin les dernières déclarations de Pham Van Dong à Hanoï ont vite fait naitre des bruits sur d’éventuelles négociations. Certains ont même conclu assez rapidement, trop rapidement, que les positions en présence s’étaient rapprochées.
Or, dans un conflit comme le conflit vietnamien qui met en jeu des intérêts fondamentaux de l’impérialisme américain, il faut toujours mettre en relation les positions tactiques prises à un moment donné avec les objectifs stratégiques réellement poursuivis. Peut-on conclure du discours de Goldberg que le gouvernement des Etats-Unis renonce à faire la démonstration que les guerres de libération nationale et sociale ne paient pas ? Certainement pas. Washington entend toujours gagner cette guerre et cherche à obtenir des Vietnamiens des concessions qui reviendraient à accepter le partage du Vietnam tel qu’il existait en 1959.
Il apparaît assez clair que le but de Goldberg dans ce discours était d’obtenir un avantage diplomatique, en poussant un certain nombre de pays à faire pression sur la République démocratique du Vietnam et sur le F.N.L. Par contre, aucun geste de bonne volonté à l’égard des Vietnamiens n’a accompagné ce discours : les bombardements contre le Nord continuent et même s’aggravent, qui plus est, la presse américaine ne cache pas que de nouveaux degrés pourraient être bientôt franchis dans l’escalade après les élections de novembre. Il existe des plans pour un franchissement du 17e parallèle et pour le débarquement de plusieurs divisions américaines au Vietnam du Nord.

« Des paroles qui n’engagent pas à grand-chose »

C’est pourquoi le chef du gouvernement d’Hanoï a tout à fait raison de demander que les Américains prouvent leur bonne volonté par des actes. Un petit pays qui lutte dans des conditions dramatiques pour sa survie ne peut se permettre de relâcher sa vigilance sur la foi de paroles qui n’engagent pas à grand-chose.
En fait le véritable problème qui est posé est celui de tout faire pour desserrer l’étau qui étouffe le peuple vietnamien et de tout faire pour empêcher que l’escalade ne se poursuive.
Le temps pour cela est mesuré, surtout si l’on considère que la perspective d’un élargissement de la guerre (Cambodge, Laos, Chine) n’est pas à exclure dans les prochains mois. Il faut mettre n aux atermoiements et en particulier cesser de se retrancher en France derrière le pouvoir gaulliste. Le discours de Pnom Penh n’a rien réglé et il n’apporte pas à l’heure actuelle un soutien effectif au peuple vietnamien. Il n’a même pas été suivi par l’annonce d’une reconnaissance diplomatique de la République démocratique du Vietnam et il semble exclu que le gouvernement français apporte dans de brefs délais une aide économique au Vietnam du Nord dont l’économie est soumise pourtant à une véritable guerre d’anéantissement.
Il est par conséquent nécessaire que l’opinion de gauche en France se mobilise pour manifester sa solidarité au peuple vietnamien en lutte et son approbation de sa lutte de libération nationale. La pire des politiques serait de se contenter de distribuer hypocritement les compliments et les blâmes aux deux camps en présence comme semblent vouloir le faire le contre-gouvernement et de se féliciter de sa propre neutralité. Personne ne pourrait échapper aux conséquences d’un affrontement majeur en Asie et l’attitude la plus sage est de chercher à arrêter le bras de l’agresseur.
On peut, certes, objecter que le poids de l’opinion française est loin d’être déterminant à l’échelle mondiale. C’est on ne peut plus vrai, mais des manifestations concrètes de l’hostilité de la majorité des Français à l’agression américaine peuvent avoir un effet de contagion à l’échelle européenne et à l’échelle de tous les pays occidentaux.
Elles peuvent aussi, et ce n’est pas du tout secondaire, montrer aux dirigeants des pays de l’Est qu’une opposition résolue de leur part au franchissement de nouveaux degrés dans l’escalade par le gouvernement américain serait très largement approuvée et comprise. Jusqu’à présent, le gouvernement américain, malgré son isolement diplomatique dans l’affaire vietnamienne, a pu poursuivre son intervention parce que tout se passait dans une atmosphère d’indifférence et de passivité. Il faut maintenant qu’il se convainque que la poursuite de l’aventure lui coûtera de plus en plus cher sur les plans matériel, politique et moral.
J.-M. Vincent.





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(1934-2004)