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Encore et toujours le Vietnam

Tribune socialiste

n° 329, p. 3, 25 mai 1967




On ne se débarrasse pas comme ça de la guerre du Vietnam. Tous les jours elle se rappelle à nous par son cortège de bombardements, de tortures et de violations des règles pourtant peu sévères du droit international. Apparemment le Pentagone et Johnson se soucient fort peu des adjurations d’où qu’elles viennent, des invites à la prudence quelle que soit leur modération ou des lamentations aussi bruyantes soient-elles.
C’est que les Etats-Unis ne se battent pas au Vietnam par inadvertance et ne se sont pas engagés dans ce con it par inconscience. Au Vietnam ils défendent au contraire, consciemment et avec acharnement, leur hégémonie impérialiste sur une grande partie du monde, c’est-à-dire leur capacité à maintenir ouvertes pour « la libre entreprise » les économies nationales de nombreux pays. L’attitude américaine lors de la conférence de Punta del Este et lors des négociations Kennedy est significative à cet égard. Dans les deux cas, les Américains ont tenté, avec un plein succès à Punta del Este, avec plus de difficultés à Genève, d’imposer à leurs partenaires des mesures libre-échangistes sans compensations équivalentes. La « liberté » qu’ils défendent, c’est en fait la liberté de circulation du capital, de leur capital.
Il n’est pas permis de se faire d’illusions sur leur détermination. Ni les difficultés économiques qui semblent se dessiner cette année aux Etats-Unis, ni les inquiétudes qui commencent à se manifester dans certains milieux dirigeants ne suffiront à stopper l’agression. Les « colombes », comme le sénateur Fulbright ou le publiciste Walter Lippmann, disent à qui veut les entendre qu’elles ne veulent pas le retrait des troupes américaines du Vietnam. Seuls les adversaires conséquents de la guerre comme Stokely Carmichael du S.N.C.C. ou le pasteur Martin Luther King osent dire que les troupes américaines doivent être retirées du Vietnam et que les jeunes ne doivent pas accepter de faire leur service militaire au Vietnam. II est clair que la majeure partie des classes dirigeantes des Etats-Unis craint profondément une liquidation de la guerre qui se ferait au détriment des vieilles élites politiques et des vieilles recettes qui font alterner au pouvoir des orientations (ou démocrates ou républicaines) à peu près complètement identiques.
Pour battre les impérialistes américains il faut en réalité opposer la force, c’est-à-dire à la force de l’agression et de l’escalade, la force de l’opinion internationale et de la mobilisation des masses contre l’agression américaine. Il n’est pas d’autre langage que les impérialistes puissent comprendre. C’est seulement si leurs propres positions se dégradent dans le monde que les dirigeants américains peuvent être amenés à réfléchir et à peser les risques d’une extension de l’agression ou d’une poursuite de l’escalade. Cela signifie en particulier qu’aucun pays n’est totalement impuissant contre l’agression. De même que le peuple vietnamien bénéficie d’une aide internationale, jusqu’à présent pas toujours suffisante, les impérialistes américains ont pu compter jusqu’ici sur la tolérance et parfois l’appui tacite ou ouvert de la plupart des gouvernements occidentaux. Mais s’ils se heurtaient un peu partout à un véritable sabotage de leur effort de guerre, à une hostilité manifeste pour leur intervention, il est certain que la discorde se ferait sentir chez eux et que leur apparente invincibilité pourrait faire place à l’esprit de défaite.
C’est pourquoi aujourd’hui il est plus que jamais nécessaire de manifester notre solidarité inconditionnelle avec la lutte du peuple vietnamien et avec ses objectifs de libération nationale et sociale. Contrairement à ce que certains de nos camarades communistes ont pu penser aux récents Etats généraux l’acceptation comme mots d’ordre des 4 points de la R.D.V. et des 5 points du F.N.L. n’est en ce domaine pas du tout secondaire. Il est indispensable, que se crée une véritable chaîne de solidarité unissant les anti-impérialistes du monde entier pour le soutien du peuple vietnamien jusqu’à la victoire, c’est-à-dire jusqu’à l’indépendance.
Ce faisant, nous ne nous éloignons absolument pas de nos problèmes. Depuis le coup d’Etat des Patakos et autres vermines fascistes en Grèce nous savons trop bien que l’atlantisme, concrétisé par l’O.T.A.N. et les différentes clauses du pacte atlantique, joue directement contre nos libertés. En luttant pour la victoire du peuple vietnamien, nous luttons aussi pour la victoire du peuple grec et pour la nôtre. En nous opposant à l’agression américaine nous nous opposons à toutes les interventions colonialistes et nous faisons reculer la perspective d’an con it général.
Que le refus de la complicité avec les fauteurs de guerre du Pentagone, que l’hostilité à leurs actes, que la résistance à leurs crimes créent en Europe un véritable front contre la sale guerre du Vietnam ! A notre manière suscitons par notre action un nouveau Vietnam politique qui contribue à, la défaite de « la plus grande puissance de tous les temps ». Les Vietnamiens se battent héroïquement ne les laissons pas seuls.





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(1934-2004)