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Affrontements à Berlin-Ouest

Tribune socialiste

n° 362, p. 10, 29 février 1968




Les 17 et 18 février 1968, Berlin-Ouest a été le théâtre d’actions de solidarité massives avec la lutte du peuple vietnamien. Le 17 février eut lieu un congrès sur la signification de la lutte du peuple vietnamien devant 4 000 personnes venues de Berlin-Ouest, de l’Allemagne de l’Ouest et de toute l’Europe occidentale. Le lendemain, le dimanche 18 février, 15 000 personnes manifestèrent sur le Kurrstendamm.
Ces faits sont déjà en eux-mêmes suffisamment éloquents, si on se souvient que Berlin-Ouest fut et reste une capitale de l’anti-communisme et du pro-américanisme. La municipalité social-démocrate, confrontée à une agitation étudiante grandissante depuis le mois de juin 1967 (mort de Benno Ohnesorg) avait cru bon de céder à la pression des éléments les plus réactionnaires de Berlin et de la République fédérale en interdisant la manifestation. De plus, elle avait elle-même contribué à créer une atmosphère d’hystérie et de pogrome en dénonçant violemment les étudiants du S.D.S. (étudiants socialistes).
Dans cette atmosphère tendue le S.D.S. et son allié du « Republikanischer Klub » (club où se regroupe l’extrême gauche berlinoise) rent preuve de beaucoup de sang-froid. Ils maintinrent l’ordre de manifestation, rent appel à la solidarité de toute la gauche allemande, mais entamèrent en même temps une procédure judiciaire par l’intermédiaire des étudiants libéraux pour faire lever l’interdiction.
Cette tactique à la fois ferme et souple se révéla payante. De nombreux milieux, pourtant très loin de partager les vues du mouvement étudiant se prononcèrent publiquement contre l’interdiction (en particulier l’Eglise protestante).
La manifestation put donc se tenir le 18 février.
Bien entendu, l’affaire n’en resta pas là. Le bourgmestre régnant appela à une contre-manifestation le mercredi suivant (le 21 février 1968). Ensuite les manifestants s’attaquèrent à tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un étudiant ou à un intellectuel aux cris de « Tuez ces cochons de communistes ». Il faut noter ensuite que les orateurs Klaus, Schiitz et surtout le syndicaliste Sickert se répandirent pratiquement en insultes contre les opposants allant jusqu’à les traiter de « fascistes de gauche ».
Cette contre-manifestation placée sous le signe de l’intolérance, si elle recueillit les louanges de la presse Springer, souleva de vives protestations dans toute l’Allemagne de l’Ouest, particulièrement dans les milieux social-démocrates et syndicalistes. A Berlin-Ouest même les tensions à l’intérieur de la social-démocratie (majoritaire dans la ville) se sont depuis aggravées presque jusqu’au point de rupture. L’aile gauche (de 30 à 40 % des mandats) sans se solidariser entièrement avec les vues du mouvement étudiant prit part à la manifestation contre l’agression américaine, en particulier par la présence de deux de ses leaders (Harry Ristock et Erwin Beck)
On doit même se rendre compte que l’affrontement de Berlin s’insère maintenant dans un contexte national beaucoup plus large. En forçant la droite de la S.P.D. et l’immense majorité de la C.D.U. à montrer quelle était leur véritable orientation, les jeunes de Berlin ont montré à beaucoup qui ne voulaient pas le croire tous les dangers qui pèsent sur l’expression démocratique en Allemagne fédérale. Par là ils ont relancé le débat sur la grande coalition (C.D.U.-S.P.D.).
La fermeté des étudiants du S.D.S. se révèle donc un atout politique de premier plan pour toute la gauche, et cela d’autant plus qu’un sondage récent (publié par le « Spiegel ») vient de révéler que la majorité des jeunes de moins de 25 ans, sympathisait avec le mouvement de protestation dirigé par le S.D.S. La gauche extra-parlementaire n’est pas cette petite minorité radicale dont parlait Kiesinger dans un récent débat au Bundestag





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(1934-2004)