site consacré aux écrits de Jean-Marie Vincent

Qui se ressemble s’assemble

Tribune Socialiste

n° 479, p. 4, 7 janvier 1971




Le 22 décembre 1970 le parti communiste et le parti socialiste ont publié un premier bilan de leurs conversations politiques. L’éventualité d’un accord politique plus complet entre les deux organisations semble ainsi s’être rapprochée quoique des difficultés importantes subsistent. Ainsi on ne sait toujours pas si les pourparlers aboutiront à un programme commun de gouvernement, comme le désirent les communistes. Il n’est effectivement un mystère pour personne que le parti socialiste n’est pas pressé de conclure, car il ne tient pas à augmenter ses contradictions internes. Des responsables aussi importants que Gaston Déferre (Marseille) ou Augustin Laurent (Lille) ne sont, il est vrai, pas prêts de se laisser enfermer dans une entente politique étroite à la veille des élections municipales. En outre, la direction du parti socialiste, comme celle de la Convention des Institutions Républicaines (Mitterrand) sont très désireuses de faire leur unité et de renforcer ce que l’on appelle la gauche non communiste avant d’envisager une cohabitation plus poussée avec le P.C.F., c’est-à-dire au sein d’une alliance en bonne et due forme.
La démocratie bourgeoise
En un certain sens le document du 22 décembre anticipe donc sur une évolution qui est loin d’être arrivée à son terme. Pour autant, il ne s’agit pas d’une mystification et d’une façon de masquer des difficultés insurmontables. Le document même provisoire présente des points de convergence suffisamment importants (et sur des questions essentielles) pour qu’on lui attribue plus qu’une valeur conjoncturelle. Dans son chapitre II consacré à l’analyse de la société française et à la lutte pour « un régime nouveau de démocratie économique et politique » le texte part en particulier d’une affirmation lourde de signification : « La démocratie politique, élément du patrimoine national, est progressivement vidée de son contenu par le pouvoir et les forces capitalistes dont il est l’expression. » De cette façon, la démocratie bourgeoise avec toutes ses limites est présentée comme un héritage à défendre, comme un acquis qu’il s’agit de préserver contre des atteintes relativement récentes.
La nature de classe des institutions politiques françaises, que cela soit celles des lre, IIe, IIIe ou IVe République est par là même escamotée. Tout se passe comme si pour parvenir au socialisme il fallait en réalité retrouver l’inspiration politique des jacobins du siècle dernier. Sans doute le texte commun fait-il référence à de nombreuses reprises à la démocratie économique, à la « démocratisation » du secteur public, à de nouvelles nationalisations, mais ceci n’est pas conçu comme un bouleversement des rapports entre les classes.
C’est tout au plus une façon de compléter, de consolider la démocratie politique en limitant ce que le parti communiste appelle volontiers « la malfaisance des monopoles ». Il s’agit là d’une perspective parfaitement utopique, car on ne peut pas s’attaquer véritablement aux grands monopoles sans s’attaquer aux mécanismes de l’accumulation capitaliste et sans s’attaquer aux bases mêmes de l’Etat bourgeois. Ou bien les réformes de structure (économiques ou politiques) s’insèrent dans une bataille générale qui mène à une crise globale du système (ce qui pose la question du pouvoir d’Etat) ou bien les réformes ne sont comprises que comme des modifications partielles qui n’atteignent pas les soubassements de la société. Dans le premier cas la lutte pour les réformes est une lutte révolutionnaire parfaitement réaliste, dans le deuxième cas elle n’est qu’une façon de s’adapter au régime capitaliste (malgré des professions de foi révolutionnaires).

Le mouvement majoritaire

Cette conception particulièrement modérée de l’« épanouissement de la démocratie » donne une coloration singulière à la recherche d’un mouvement majoritaire en faveur de la gauche unie. Le texte déclare : « Pour toutes ces raisons, l’accession de la gauche au pouvoir ne pourra avoir pour seul but la prise en main des leviers de commande, mais devra se traduire par un épanouissement de la démocratie et une transformation progressive des structures économiques avec le souci d’assumer une expansion continue. Elle sera le résultat d’un mouvement majoritaire de la population. » Bien que cela ne soit pas explicitement affirmé dans le reste du texte, la conquête de la majorité n’est pas, ne peut pas être dans cet esprit, la conquête de la majorité des travailleurs (leur ralliement à une lutte révolutionnaire de masse) mais tout au plus la conquête de la majorité parlementaire dans un contexte qui entrave ou rend impossible l’expression politique de la classe ouvrière. Là bourgeoisie peut donc dormir sur ses deux oreilles.

Une curieuse résistance

Le parti communiste l’a, semble-t-il senti, qui s’est refusé à aller trop loin dans certaines concessions. On apprend ainsi qu’il est hostile à l’alternative de la droite et de la gauche au gouvernement, contrairement au parti socialiste qui lui veut se plier « à la loi de la démocratie ». On apprend également dans le chapitre IV qu’il définit « le pouvoir socialiste comme le pouvoir de la classe ouvrière et des autres couches de la population laborieuse », alors que le parti socialiste le définit « comme le pouvoir de la majorité s’exprimant par le moyen d’un suffrage universel libéré des restrictions de fait que lui impose la domination de classe capitaliste ». Mais qu’on nous pardonne, tout cela ne constitue pas une résistance bien sérieuse. Si l’on ne conçoit pas le pouvoir de la classe ouvrière comme un pouvoir bâti sur de nouvelles institutions (démocratie directe, conseils ouvriers, etc.), et sur l’expropriation massive de la bourgeoisie, alors il faut, c’est vrai, se résigner à une alternative classique de partis ou bien recourir à des méthodes policières. Comme le P.C.F. nous dit aujourd’hui la main sur le cœur qu’il répudie les méthodes de ses alliés d’U.R.S.S. ou des démocraties populaires, on ne peut pas dire que la logique soit de son côté. Dans ce domaine, sa résistance (qu’on comprend quand on sait qu’il se présente comme révolutionnaire) aura seulement l’avantage de donner à ces belles âmes « démocratiques » du parti socialiste des moyens pour reculer l’embrassade terminale avec Georges Marchais et ses amis. Gageons qu’il y aura encore de savoureux débats dans la gauche dite communiste et non communiste, autour des concessions à se faire.
Ce document aussi clairement social-démocrate explique, bien sûr, l’impasse entre le P.C.F. et le P.S.U. sur les élections municipales. Il était difficile à un parti comme le P.C.F. de dire noir et blanc en même temps, c’est-à-dire d’être tout sourire pour la vieille maison vermoulue de la cité Malhesberbe et de signer avec le P.S.U. un accord traduisant une conception différente de la lutte politique et des alliances tactiques. Nous ne nous réjouissons naturellement pas de cet épisode. Il eut été de très loin préférable qu’un accord national P.C.F.-P.S.U. permette de donner aux élections municipales, face à la majorité des travailleurs, le sens d’une grande bataille de classe. Le P.C.F. préfère, semble-t-il, les accords locaux étendus aux « démocrates sincères ». Nous le regrettons, mais cela ne nous empêchera pas de mener avec nos moyens un combat pour la clarification politique et pour les intérêts des travailleurs.





Site
consacré
aux écrits
de
Jean-Marie
Vincent
(1934-2004)