site consacré aux écrits de Jean-Marie Vincent

L’Ecole de Francfort et la théorie sociale

Les Aventures du marxisme

p. 39-57, Syros, 1984




Aujourd’hui [1], on peut facilement se méprendre sur le sens et la signification de l’entreprise portée par les initiateurs de l’Ecole de Francfort. Loin d’être une première version, particulièrement réussie, du marxisme universitaire qui se répandit en Europe dans les années soixante, la théorie critique, à ses origines, était le projet particulièrement ambitieux d’un bouleversement complet de la pratique de la théorie. Il ne s’agissait plus seulement de mettre en relation théorie et pratique comme le disait le marxisme classique, afin que l’une soit éclairée par l’autre dans un jeu perpétuellement répété de fécondation réciproque. Il s’agissait, selon une perspective particulièrement audacieuse, de faire de la théorie une activité directement transformatrice du réel, c’est-à-dire de la société. Sans doute, le groupe rassemblé autour de Max Horkheimer ne se faisait-il guère d’illusions sur la possibilité d’influencer à brève échéance les pratiques du mouvement ouvrier organisé (syndicats, partis social-démocrates et partis communistes). Pour autant, il était bien décidé à modifier les médiations rigides instituées entre théorie et pratique, notamment les figures redondantes du réalisme et de l’utilitarisme qui ne pouvaient que laisser dans l’état où elles étaient les activités théoriques et pratiques. Comme le disait Max Horkheimer dans « Théorie traditionnelle et théorie critique » (1937) la théorie devait se mettre dans un état de tension permanent avec son objet ou avec une réalité qu’elle ne devait ni accepter, ni rejeter superbement. Elle ne pouvait même pas faire fond sur la classe ouvrière comme référent irrécusable, puisque cette dernière était elle-même traversée par nombre des contradictions du vieux monde à vaincre. A la recherche de la vérité, la théorie ne pouvait s’appuyer sur aucune certitude, si ce n’est sur celle de sa propre implication dans les débats de la société et dans les déchirements de la conscience sociale (l’esprit objectif au sens hégélien). Dans ce parti pris de la non-coïncidence avec le réel et de l’inquiétude toujours renouvelée par rapport aux dangers de la reproduction et de la répétition sociales, on pourrait évidemment soupçonner un élitisme méprisant pour les combats les plus ordinaires des opprimés. Rien, pourtant, n’était plus éloigné des visées originaires de l’Ecole de Francfort que la recherche d’une attitude au-dessus de la mêlée. L’accent mis sur la théorie au détriment des pratiques politiques les plus immédiates se voulait prise de distance consciente par rapport au quiétisme social-démocrate et au dogmatisme communiste, retour sur la réussite relative de la révolution d’octobre 1917 et sur l’échec bien réel de la révolution allemande de 1918-1923. La théorie devait en quelque sorte s’interroger sur les fourvoiements et les inachèvements du marxisme qui avait présidé à ces succès et insuccès, pour contribuer à recréer les conditions propices à la pratique révolutionnaire (umwälzende Praxis). Aussi bien le programme de recherches présenté par Max Horkheimer en 1931 se voulait-il le programme d’un matérialisme interdisciplinaire, concerné tant par l’Etat, le droit et l’économie que par la psychologie sociale et la religion, en un mot par « tout ce qui constitue la culture matérielle et spirituelle de l’humanité » pour reprendre ses propres termes. La théorie, en tant que philosophie sociale, réflexion sur la société, ne devait pas en rester aux affirmations totalisantes, vite satisfaites d’elles mêmes, mais se prêter à une confrontation directe avec les sciences sociales en plein développement, à une compénétration critique des problématiques respectives, en vue de faire de la théorie sociale une théorie dialectique. Ce matérialisme inter-disciplinaire prospectif ne sacrifiait donc ni à l’éclectisme, ni à un scientisme unidimensionnel. Il entendait, au contraire, rester fidèle à l’esprit de la critique de l’économie politique, en mettant en lumière tout ce qui séparait la nouvelle théorie sociale des théorisations traditionnelles fondées sur le pur arrangement logique d’une empirie non questionnée. La construction de la théorie sociale, en ce sens, ne pouvait s’opérer en dehors d’une délimitation constante avec tous les courants positivistes comme avec les courants prêts à imposer un sens préalable au réel. La théorie sociale critique n’avait pas à souscrire à des « a priori » méthodologiques, mais à dégager une pluralité de modes d’investigation et de mise en relation, précisément pour dépasser l’arbitraire de la méthode à sens unique. L’unité de la théorisation, sa force de totalisation ne devait se dessiner qu’« a posteriori » dans la rigueur du mode d’exposition des mouvements et de la dynamique de la société capitaliste.

A plus de quarante ans de distance, la variété des thèmes abordés par la « Zeitschrift für Sozialforschung » témoigne du sérieux de ce projet inter-disciplinaire et de la volonté du cercle de l’« Institut pour la recherche sociale » de le mettre en application. En même temps, il n’est pas erroné d’affirmer que la mise en pratique du programme signifie son édulcoration progressive, puis son abandon complet dans les années quarante. C’est ce paradoxe qu’il faut aujourd’hui éclairer, non en recourant aux explications faciles par les défaillances des individus, mais en suivant pas à pas les difficultés rencontrées par ce « matérialisme inter-disciplinaire » dans ses affrontements avec une réalité sociale particulièrement tourmentée, et marquée notamment par le nazisme et le stalinisme. Au début des années trente, l’institut dirigé par Max Horkheimer s’intéresse surtout à la psychologie sociale, c’est-à-dire aux structures mentales qui constituent le ciment des structures sociales, mais on se doute bien qu’il ne s’agit pas de psychologie au sens habituel du terme. Horkheimer et ses collaborateurs s’interrogent, en fait, sur les mécanismes qui font que des masses très importantes de la société agissent sans tenir compte de leurs « intérêts objectifs », voire à l’encontre de ces intérêts. Autrement dit, au centre des problèmes de psychologie sociale, il y a la question de la conscience de classe, la question du comportement effectif des opprimés et des exploités dans les affrontements de classe. Dans cet intérêt passionné, il y a, bien sûr, aussi les interrogations soulevées par le développement torrentiel des mouvements racistes et anti-démocratiques dans l’Europe de l’entre-deux guerres. Les chercheurs de l’Ecole de Francfort ne veulent pas opposer une norme idéale — les masses telles qu’elles doivent être — à une réalité mauvaise ou négative. Ils s’efforcent de comprendre les mécanismes qui font que les hommes s’attachent à leur propre dépendance et s’adaptent aux formes de la domination. Pour cela, ils utilisent avec une hardiesse indéniable la psychanalyse freudienne qui semble mettre en lumière les tendances et les investissements pulsionnels inconscients que l’on peut trouver derrière les institutions et les idées. Comme l’écrit Erich Fromm : « La structure libidinale d’une société est l’intermédiaire par lequel l’économie exerce son influence sur les phénomènes proprement humains, psychiques et intellectuels ». Deux grandes enquêtes, l’une sur les ouvriers, l’autre sur les autorités et la famille étayent sur le plan empirique ces intuitions et procèdent à un véritable décapage des illusions sur la vocation révolutionnaire de la grande masse des exploités et sur la possibilité de la voir parvenir à la conscience de classe au cours de moments de crise et d’illumination subite. La désacralisation du prolétariat devient par là un point de passage obligé de la théorie, il n’est plus possible d’en faire le Sujet par excellence de la transformation sociale et de l’histoire, c’est-à-dire le destinataire privilégié de la théorie critique. Mais, et c’est là la première grande limite de l’Ecole de Francfort, cette découverte-démystification ne conduit pas Horkheimer et ses amis à abandonner la notion même d’un sujet de la société et de l’histoire (serait-il collectif), mais à placer l’ensemble des processus sociaux contemporains sous le signe de son absence, c’est-à-dire sous le signe d’une détermination par l’absence de conscience et par la multiplication des mécanismes psychologiques incontrôlés. Sur cette voie la psychanalyse est, bien évidemment réduite à une psychologie « matérialiste », et dépouillée, qu’on le veuille ou non, d’une de ses dimensions essentielles, sa dimension de méthode d’interprétation active des formes de l’interaction non parvenues à l’expression symbolique ou désymbolisées au cours des processus de socialisation, c’est-à-dire précisément sa dimension irréductible au schéma détermination indétermination. Le social, au niveau des relations intersubjectives, ne peut ainsi apparaître comme le lieu de processus capillaires d’interprétation-modification des contextes d’interaction, potentiellement porteurs d’autres rapports entre collectif et individuel.

Comme on peut s’en douter, l’Institut pour la recherche sociale s’est naturellement bien gardé de négliger la critique de l’économie politique, sous son double visage de critique de la théorie économique et de critique de la théorie politique. Dans le domaine économique, deux grandes orientations se font jour et s’affrontent dans les pages de la revue de l’institut, celle de Henryk Grossmann qui insiste sur la montée des contradictions économiques inhérentes au capitalisme avec une certaine subtilité d’analyses, mais aussi avec un certain esprit d’orthodoxie, celle de Friedrich Pollock qui, au contraire, met l’accent sur les phénomènes nouveaux de l’intervention étatique dans l’accumulation et la circulation du capital après la crise économique de 1929. Les mérites des travaux de H. Grossmann restent aujourd’hui, encore, indéniables, mais certains aspects catastrophistes (et optimistes) de sa théorisation, expliquent vraisemblablement que les vues de Pollock finissent par l’emporter dans l’institut, comme plus proches de la réalité.

Pollock, en effet, part moins d’un modèle théorique à enrichir progressivement par des hypothèses de plus en plus complexes que d’une réflexion sur un abondant matériel empirique, apparemment en contradiction avec les analyses du « Capital ». Son point de départ, c’est la régression des phénomènes de concurrence, trop vite assimilée à la disparition de la concurrence entre des capitaux multiples et à la disparition du marché comme forme d’organisation des échanges économiques. Au capitalisme de la libre concurrence se substitue peu à peu selon Pollock un capitalisme d’Etat qui régule la circulation des capitaux, répartit une bonne partie des profits, détermine très largement les proportions de l’accumulation et de la consommation populaire. Cela veut dire, en clair, que le capitalisme est en pleine période de mue et qu’il se trouve peu à peu soumis à de nouvelles lois de fonctionnement. Les fluctuations économiques, notamment, sont en voie d’atténuation en raison de l’intervention de l’Etat à court et moyen terme qui prend de plus en plus les caractéristiques de la planification (un peu à l’image de ce qui se passe en Union Soviétique). Le monde entier évolue d’ailleurs vers le capitalisme d’Etat, que ce soit vers le capitalisme d’Etat totalitaire, à l’exemple de l’Allemagne nazie, que ce soit vers le capitalisme d’Etat démocratique, à l’exemple des Etats-Unis de Franklin D. Roosevelt. Il s’ensuit qu’il est de plus en plus difficile de parler des contradictions économiques du capitalisme et de faire des crises économiques les moments essentiels des déséquilibres de la société et les signes de la caducité des formes sociales bourgeoises. Il subsiste certes des contradictions de classe, des antagonismes autour des problèmes posés par l’extraction et la répartition de la plus-value, mais ils ne sont pas en eux-mêmes des facteurs conduisant à une désorganisation cyclique des rapports de production. La lutte pour une autre société ne peut, en ce sens, s’appuyer sur la dialecticité des formes économiques, c’est à dire sur leurs oppositions sans cesse reproduites sur une échelle élargie alors même qu’on les croit levées. A proprement parler, il n’y a plus d’automatismes économiques pour produire des failles ou des béances dans les dispositifs de la reproduction sociale, ce qui revient à dire que le socialisme ne peut être donné comme l’aboutissement inévitable du présent, comme son horizon obligatoire.

Cette conclusion est encore renforcée par le primat qu’accordent les analyses de Pollock à la politique au niveau de la dynamique sociale globale. Si l’Etat est capable de régler, pour l’essentiel, les mouvements du capital, l’économique ne peut qu’être subordonné au politique au lieu de fixer à ce dernier des limites de variation et l’espace dans lequel il peut se déployer. La politique, par suite, doit être conçue, non comme un jeu abstraitement égal entre pouvoirs et influences inégalement répartis, mais comme une application consciente de la force aux enjeux sociaux, c’est-à-dire comme une logique de la domination présente à tous les niveaux de la société. Les affrontements de classe perdent, en quelque sorte, de leur complexité en échappant à toute intrication dans les mécanismes de la concurrence capitaliste ; ils deviennent, de façon beaucoup plus claire, des rapports de force en mouvement, où il y a un net avantage pour ceux qui sont déjà en place. Il y a, bien entendu, la possibilité que la logique de la domination soit tempérée par des institutions démocratiques, mais les tendances dominantes vont dans le sens de l’autoritarisme, voire du totalitarisme. Aussi bien ne faut-il pas s’étonner si Pollock développe dans cet esprit une analyse relativement linéaire du nazisme, vu surtout comme le système de la domination sur-organisée et de la perfection totalitaire, et cela, à l’opposé des analyses différenciées de Franz Neumann sur les désordres et les compétitions entre groupes qui, derrière une façade unitaire, marquent en profondeur le régime nazi. La logique de la domination se voit complétée et prolongée par une logique de la manipulation, jouant cyniquement sur les positions de faiblesse des opprimés dans les différents domaines, ce qui permet au pouvoir, à la fois de proclamer ouvertement ses objectifs et d’en masquer les incidences réelles. La politique, ainsi interprétée, ne peut naturellement pas être traversée et secouée par des forces de renouvellement. Elle est, au contraire, presque complètement imperméable au changement ou à l’irruption de nouvelles pratiques sociales. A notre époque, la politique transformatrice devient une sorte de possibilité limite ou de quasi-impossibilité. Encore une fois, le socialisme semble disparaître de l’horizon et n’être plus guère qu’une aspiration au changement sans répondants suffisants dans la réalité sociale.

Il faut donc bien constater que la ré-actualisation de la critique de l’économie politique par les principaux membres de l’Ecole de Francfort mène à des impasses. La tentative, loin de permettre le développement d’une dialectique du politique et de l’économique, débouche au contraire sur une primauté rigide du politique et un appauvrissement de son contenu. Le concept même de rapport de production ne peut, lui non plus, sortir précisé ou renforcé de cette épreuve ou de ce ré-examen, puisque la force nue semble devoir jouer dorénavant un rôle primordial dans la cristallisation des relations au niveau de la production. Dans un tel contexte, l’idée qu’il pourrait y avoir une dialectique des forces productives humaines et des rapports de production paraît, évidemment, bien saugrenue ; tout est fort bien cimenté par la domination et la manipulation. La critique de l’économie politique devient son propre contraire, la reconnaissance de l’opacité du réel social. Les raisons de cette involution involontaire sont, sans doute, multiples, la présence massive du stalinisme et du nazisme, par exemple, n’y est pas pour rien, mais on doit surtout s’interroger sur une singulière absence dans les considérations des théoriciens de l’Ecole de Francfort ; l’absence de l’instrument d’analyse que constitue le concept de travail abstrait, et corrélativement l’insuffisante prise en compte de la logique de la valorisation à l’oeuvre dans le capitalisme. Sans doute peut-on trouver chez Horkheimer, et d’autres, des réflexions intéressantes sur la place du travail social dans la structuration et l’évolution de la société, mais la forme spécifique que prend le travail dans la société capitaliste — l’abstraction du travail en général par rapport au travail concret — n’est jamais véritablement examinée. C’est dire par là que la condition première du rapport social de production capitaliste, la production et la reproduction des travailleurs en tant que porteurs interchangeables de travail abstrait d’un travail susceptible de donner une forme valeur à leurs produits et de valoriser le capital en tant que travail abstrait mort ou cristallisé, n’est pas vraiment appréciée dans toute sa signification. Le travail humain n’a pas en fait de valeur en soi, par on ne sait quelle vertu naturelle qui ferait qu’on pourrait le réduire, lui et ses produits, à des mesures simples, indiscutables en fonction de propriétés transcendant toutes les contingences spatiales et temporelles. Le travail humain prend la forme valeur ainsi que ses produits, parce qu’il y a à l’oeuvre un ensemble de règles et de contraintes sociales objectives qui réduisent l’hétérogène à l’homogène, le qualitatif au quantitatif et donnent à ces processus de captation des activités humaines — pour leur transmutation en échanges matériels réglés par leur propre logique —, la préséance sur toutes les relations inter-subjectives et interindividuelles. Les rapports sociaux entre les choses, c’est-à dire entre les extériorisations fétichisées des hommes en inter-action l’emportent sur les stratégies et les tactiques à l’oeuvre dans les différents groupes sociaux ou plus exactement se les subordonnent. Les accumulations de travail mort — les capitaux qui s’investissent — ne peuvent se mettre en effet en mouvement qu’en absorbant du travail vivant sans discontinuer, c’est-à-dire sans reproduire à chaque moment la relation capital-travail comme relation surimposée à ceux qui agissent. Le capital a soif de travail vivant devenu abstrait, parce qu’il lui faut se mettre en valeur pour survivre dans les échanges avec les autres capitaux, et cela dans une confrontation permanente qui dépasse les limites spatiales et temporaires mises à la concurrence. Les capitaux ne se mesurent pas les uns aux autres comme des adversaires dans des combats singuliers, mais comme des automates qui ne maîtrisent ni les mouvements des autres, ni les dissymétries récurrentes qui caractérisent leurs conditions d’activité.

Si une telle analyse est exacte, il faut donc se garder d’affirmer trop vite que l’intervention économique de l’Etat représente une intervention consciente sur les contradictions économiques, simplement parce qu’elle déroge aux règles classiques du marché et qu’elle a très souvent recours à des réglementations qui limitent la marge de manoeuvre des capitalistes. En effet, tant que l’Etat n’abolit pas pour l’essentiel la multiplicité des capitaux, ni ne s’attaque à la dynamique de l’accumulation, ses interventions ne peuvent que compenser et accompagner les mouvements propres du capital selon une logique qui reste celle de la valorisation. En ce sens, l’extension des fonctions étatiques entraîne une inclusion beaucoup plus profonde des organes politico-étatiques dans la dynamique économico-corporative, ce qui les rend naturellement plus dépendants de la réussite ou de la non-réussite de l’accumulation du capital (du taux d’exploitation et du taux de profit, entre autres). Cela se manifeste notamment par la priorité des politiques conjoncturelles sur les politiques structurelles, par l’efficacité douteuse des pratiques de planification et de programmation non sectorielles, et, à l’étape présente, par l’incapacité des Etats à faire face aux phénomènes de crise apparus depuis 1974. Le capital et son Etat ne peuvent, par suite, être assimilés à des sujets collectifs conscients, et si Marx dans « Le capital » parle du capital comme du Sujet de la société, il en fait un sujet automate qui s’alimente du travail abstrait et de l’impuissance de sujets multiples et dispersés. A l’inverse, les théoriciens de l’Ecole de Francfort sont irrésistiblement poussés, par les analyses de Friedrich Pollock, à faire de l’Etat-Moloch du capitalisme d’Etat un Etat conscient qui manipule les consciences selon une raison pervertie par le particularisme et la recherche de l’avantage privé. Comme chez Marx, la société est bien une totalité négative, mais cette totalité est moins l’effet de dispositifs sociaux en extériorité et automatisés que de l’enlisement de la conscience dans le subjectivisme de l’auto-conservation, de la négation de l’autre et de la différence. La prédominance de l’universel abstrait (et particulariste) sur les êtres singuliers n’apparaît plus comme la soumission des hommes à des abstractions réelles (la marchandise, la monnaie, le capital), mais comme l’allégeance des consciences monadiques à une raison calculatrice hypostasiée qui finit par les nier elles-mêmes dans leur diversité. En définitive, ce n’est plus tellement le rapport social de production qu’il faut interroger, c’est la raison elle-même dans son unilatéralité, dans la fascination qu’exercent sur elle la puissance et la domination sur l’environnement naturel, et, bien sûr, la domination sur les autres hommes. La raison doit être questionnée, non seulement sur le mauvais usage qui peut en être fait, mais aussi sur ce qui fait qu’elle est ce qu’elle est, un rationalisme oublieux de ses présuppositions. En d’autres termes, Marx doit être complété, sinon corrigé par Max Weber, et le capitalisme saisi dans tout ce qui le lie aux destinées du rationalisme occidental, c’est-à-dire à la montée apparemment irrésistible de la « Zweckrationalität », de la rationalité instrumentale. La conscience dominatrice est la conscience d’un « Homo faber » qui ne sait plus traiter son environnement humain et naturel autrement que comme un ensemble de moyens mis à la disposition de son arbitraire.

C’est bien pourquoi les échecs du mouvement ouvrier en tant que mouvement d’émancipation et les régressions qui se manifestent à travers le fascisme et le stalinisme ne renvoient pas à des combinaisons plus ou moins contingentes de facteurs, mais à une sorte de ratage de la raison, à une sorte de malformation congénitale qui transcende les conditions actuelles. La dialectique historique se révèle dépendante d’une dialectique trans-historique de la raison ou plutôt d’une philosophie négative de l’histoire comme marche de la raison vers sa propre destruction. Contrairement à ce que croit le marxisme classique, le développement des forces productives et la maîtrise croissante des processus naturels ne recèlent en eux-mêmes aucun potentiel notable de libération ou de subversion, ils ne font en réalité qu’emprisonner un peu plus la raison dans un désir démesuré d’assimilation et d’identification à elle-même de ce qui l’entoure. La culture de la raison démiurgique croit s’emparer de la nature et instaurer une suprématie incontestable alors qu’elle se transforme elle-même en une seconde nature en soumettant la nature intérieure des hommes à des contraintes de plus en plus rigides. Toute idée de progrès dans et par l’histoire doit être abandonnée et remplacée par une vue de l’histoire comme accumulation de virtualités non actualisées et d’occasions à jamais perdues qui pèsent de plus en plus lourdement sur les relations sociales. Ce repliement de l’histoire sur elle même et sur la reproduction élargie de rapports négatifs s’accentue encore avec l’universalisation des échanges marchands (extension au-delà de l’économie proprement dite dans les domaines du quotidien, de l’affectif et de l’expressif) qui font des échanges inter-humains les moyens de fins qui leur sont extérieures. Les valeurs d’échanges relèguent peu à peu à un rôle résiduel et dérisoire les valeurs d’usage en créant un monde de la circulation illimitée et du renouvellement perpétuel qui aspire et conditionne tous les besoins humains. Ce monde sensible supra-sensible qui, par un jeu de miroirs infini, de quiproquos et de substitutions, se présente et se représente comme la seule réalité, trouve son couronnement et son achèvement dans la mainmise sur les esprits de l’industrie culturelle qui emprisonne l’imaginaire social, nivelle les fractures et les aspérités du social, banalise les conflits et affirme l’harmonie dans la pseudo-vérité. Il faut d’ailleurs bien voir que l’efficacité de cette industrie d’un nouveau genre résulte moins des effets mécaniques de la répétition et de la simplification que de sa capacité à répondre à des attentes ou à se servir de faiblesses existant chez les individus. Ainsi que le dit Adorno, l’industrie culturelle fonctionne comme une sorte de psychanalyse à rebours, elle utilise systématiquement et par là même perpétue les mécanismes régressifs à l’oeuvre chez des sujets mal socialisés et mal individués. De ce point de vue, l’industrie culturelle ne doit pas être caractérisée seulement comme illusion ou évasion, elle est avant tout redoublement, copie conforme de la société qu’elle renvoie à son inhumanité. Par là, elle rend caduque, voire totalement superflue la notion d’idéologie, puisque l’idéologie suppose, non la tromperie grossière, mais l’erreur ou la distorsion dans la perception de la réalité et, surtout la déviation dans la recherche du bien. Dans toute idéologie, il y a ce minimum de distance au donné immédiat qui a disparu dans le monde de l’industrie culturelle, fin de l’idéologie pour des rapports sociaux d’où sont absents la réflexivité et les retours sur la pratique.

S’il en est ainsi, la continuité catastrophique de l’histoire ne peut être interrompue par des mouvements et des événements qui lui seraient immanents. Si libération il doit y avoir, elle ne peut provenir que d’une sortie brusque de l’histoire, conséquence d’un moment d’illumination de l’esprit objectif (la conscience sociale), de reprise en main par rapport à l’immersion dans la réification et par rapport à la fascination de la domination. Aussi bien, le caractère hautement improbable de cette auto-réforme d’une conscience sociale devenue pure fonctionnalité, et l’impossibilité de se la représenter interdisent-ils d’en faire un moyen d’intervention sur le présent. Il n’est pas possible de donner un visage à l’utopie, et les projections qu’on prétendrait faire sur un avenir libéré, ne pourraient qu’être prisonnières d’un présent bien clos. L’action, ou plus précisément la pratique révolutionnaire n’a plus qu’une signification rétrospective, et toute tentative de ré-actualisation ne peut avoir que des conséquences négatives et contribuer à la reproduction d’une société sans véritable futur. Il ne reste plus à la théorie critique, dans un tel contexte, qu’à instaurer ce qu’on peut appeler un matérialisme du soupçon et de la méfiance exacerbée, puisqu’il n’est plus rien sur quoi l’on puisse s’appuyer. La théorie, qui, plus que jamais est à elle-même sa propre pratique, doit se nier en tant que théorie emphatique, c’est-à-dire en tant que théorie qui croit affirmer et construire le monde. Désormais, elle n’est possible à l’extrême limite que comme dialectique négative, c’est-à-dire comme négation de ce qui est produit sous la contrainte de l’identification en même temps que déconstruction de tous les systèmes de pensée hantés par la complétude et la totalité. La pensée ne peut plus se fier à ses propres résultats, ni non plus à ses propres cheminements logiques dont elle doit sans cesse ré-examiner l’apparente nécessité. Elle ne peut que se mouvoir dans et entre les apories sans se satisfaire de son travail de désagrégation, ni non plus croire qu’elle échappe au monde qu’elle critique et prend pour cible. Il ne faut pas s’attendre à ce qu’elle dise ce qui est et ce qui doit être, car elle sait qu’elle ne peut rien savoir de positivement constitué ou établi.

On peut, sans doute, mettre en question le quiétisme de cet esprit négateur et regretter la tonalité résignée qui marque la théorie critique dans les années cinquante et soixante. Mais s’en tenir là, ce serait méconnaître la radicalité de la dialectique négative, et le fait que, loin de vouloir laisser le monde tel qu’il est, elle entend ne pas le laisser en repos, à l’opposé de tous les scepticismes. Après la deuxième guerre mondiale, Adorno en tant que principal inspirateur de la théorie critique formule un programme sans précédent de désengagement par rapport aux structures de la société contemporaine, et plus particulièrement par rapport à la division intellectuelle du travail et aux différentes modalités de production du sens. Le matérialisme inter-disciplinaire n’a, certes, plus pour objectif une synthèse de la philosophie et des sciences sociales sous le signe de la critique de l’économie politique, mais il a pour enjeu majeur le désinvestissement (au moins théorique) de tous les réseaux de relations réifiés qui enserrent et paralysent les actions et les pensées humaines. La critique, ainsi comprise, est plus qu’une manifestation de distance théorique ou qu’une condamnation d’une mauvaise réalité, elle est inversion du mouvement de clôture, recherche des failles de l’ordonnancement du réel dans la façon même de l’épouser et de le reconnaître. La théorie critique, à cet égard, est d’abord mise en question de l’auto-suffisance de la pensée et de son absolutisme dans la formalisation logique en tant que manifestation de subjectivisme aveugle, soumis à Ia contrainte de l’identification et incapable de prendre la mesure de la préséance de l’objectif. La logique fétichisée est comme l’argent de l’esprit, elle fonctionne à l’image de la monnaie se détachant de ses présuppositions sociales et se présentant comme animée d’un mouvement propre. En tant que raison qui exclut ce qui dérange sa passion de l’organisation, elle ne peut connaître qu’une expérience réglementée et mutilée par le primat de la méthode. Et c’est au moment même où elle s’adonne au fantasme de l’objectivité (la rigueur opposable à tous) qu’elle atteint le maximum de subjectivisme. Cette analyse critique concerne en premier lieu les antipodes que sont la phénoménologie husserlienne et le néo-positivisme du cercle de Vienne, mais, en fait, elle vise surtout ce qu’on appelle les sciences sociales (sociologie, économie, etc.) qui prétendent cerner positivement la société, donc qui l’étudient sans la prendre en compte comme non-vraie, comme totalité négative. Dans leur diversité apparente, dans les rivalités des écoles, elles évitent en effet de poser le problème de l’universel, du particulier et du singulier, c’est-à dire le problème de l’insertion des individus dans le rapport social et de la présence de ce dernier dans les individus sous l’égide d’un principe de synthèse sociale, l’échange abstrait de valeurs. Individus et société sont saisis comme consubstantiels l’un à l’autre alors que la société comme extériorité (la raison fétichisée) se nourrit, en les dégradant, des sujets qui lui sont opposés. Cela revient à dire que les sciences sociales en se refusant à concevoir que l’empirie est à double détente — l’apparence (le foisonnement des individus et des groupes) et l’essence (les contraintes abstraites de la synthèse sociale) — ne font que refléter les illusions et les impuissances des consciences individuelles. On mesure ou on étudie des attitudes, des motivations, des opinions et des comportements qui ne peuvent être déchiffrés qu’à partir de structures plus profondes, c’est-à-dire à partir d’objectivations et de textes non intentionnels, produits dans et par les multiples formes de l’interaction.

Le courant adornien n’oppose, évidemment, pas à ces disciplines aveuglées par leur objet, un autre modèle des sciences sociales et humaines prétendant, lui, à la lucidité. Pour rester fidèle à sa méfiance devant les grandes machines théoriques, il met à l’oeuvre sur tous les matériaux qu’on lui livre une démarche qu’il qualifie de micrologique, parce qu’elle recherche dans l’extrême du particulier (besondere) et du singulier les médiations avec un tout négatif et contradictoire. La société dit mieux ce qu’elle est dans la médiativité de la singularité donnée pour immédiate, en réalité sans assises solides, que dans les généralisations et les hypostases théoriques s’élevant au-dessus de l’empirie pour en dire unilatéralement le sens. L’individualité qui se veut primordiale ou fondatrice, est ainsi révélée dans ce qu’elle a de mensonger et d’illusoire, de précaire et de dominé. Le sujet que l’on croit entouré d’une protection institutionnelle-juridique, parce qu’il a quelque chose de substantiel, ne fait que dire ce que lui dicte le principe de l’échange comme principe de conformité. Il ne résiste au totalitarisme de l’universel abstrait que dans la souffrance enfouie et refoulée de ce qu’il est souterrainement et pourrait être. Par tout ce qu’il fait en croyant manifester son autonomie, il se produit et se reproduit en tant qu’exemplaire interchangeable, en tant que victime consentante de ce qui l’opprime et le soumet à la contrainte de la répétition du même. L’individuel non normalisé comme le social non aplani ne peuvent en fait être compris que dans leurs inégalités de développement, dans leurs disjonctions irréparables et dans leurs coïncidences mal ajustées. Le travail de la connaissance ne peut être tant soit peu fécond qu’à partir du fragmentaire, de ce qui est brisé dans la continuité sociale. Il n’oppose pas à la totalité négative un édifice théorique bien construit, mais des ensembles apparemment disparates, à la fois convergents et divergents, d’élaborations théoriques méthodologiquement plurielles qui font éclater l’unité contrainte de la synthèse sociale. La théorie critique s’exprime sous la forme de constellations, c’est-à-dire de cristallisation autour de problématiques temporaires qui ne refusent pas leur propre précarité et sont prêtes à leur propre dissolution. Il n’y a, par suite, pas de privilège à consentir aux théorisations formalisées par rapport aux essais et aux formes fragmentaires de la critique littéraire qui peuvent travailler sur l’objectivité supra-individuelle du langage en même temps que sur la singularité de ce qui est produit dans l’oeuvre. La critique immanente de l’oeuvre d’art peut mettre en effet en lumière ce qui, dans celle-ci dépasse la représentation et la volonté de faire, c’est-à-dire tout ce qui n’est pas violence sur le monde ou nostalgie d’un autre rapport au non identique. L’art est, sans doute, menacé de mort par l’extension des rapports marchands, mais, dans la mesure où son travail transcende la subjectivité de la création pour agencer dans l’objectivité de ses matériaux et de sa technique un rapport différent du rapport de domination-possession, il apparaît comme la possibilité limite d’une négation déterminée de l’ordre existant. Il n’est pas l’image d’un futur réconcilié, mais il dit au moins en négatif, en opposition à ce qui est, ce que peut avoir de désirable et de nécessaire ce qui n’est pas. L’esthétique, et plus précisément la théorie esthétique, prend par conséquent une place capitale dans les activités de connaissance. Sans elle, le travail de la critique ne serait que pur ressassement et ratiocination, grâce à elle il participe d’une remise en ordre de la pensée, de la construction d’une raison qui n’est plus exclusion. La théorie critique ne cherche pas à s’échapper dans l’esthétique ou l’esthétisme, pas plus qu’elle ne sacrifie à la protestation morale impuissante. Elle ne se veut pas complaisance de la conscience malheureuse avec elle-même, mais précisément dépassement de son jeu illusoire d’objectivation et d’intériorisation. Le mariage de la théorie sociale et de la théorie esthétique n’est pas une manière de se retirer sur les hauteurs de la contemplation, mais un moyen de détourner la théorie sociale de son mimétisme par rapport à la société.

Il ne faut, certes, pas se dissimuler ce que ce matérialisme interdisciplinaire couronné par l’esthétique a d’aporétique par sa proscription de l’action et du changement historique, ni non plus ce qu’il a d’intemporel et d’immobile. La théorie critique des années soixante a, en définitive, peu de choses à dire sur les grands affrontements et bouleversements contemporains et semble condamnée à répéter indéfiniment ce qu’elle disait déjà dans les années quarante sur l’inhumanité du monde. Pourtant il serait erroné d’en rester à ces considérations et de lui dénier toute actualité. En raison même de son désengagement des structures et des pratiques de la société présente, elle fait, par contraste, ressortir tout ce qu’a de massif l’engagement du mouvement ouvrier dans ces mêmes structures et pratiques. Il y a presque une centaine d’années, Kautsky, appuyé par Paul Lafargue, se lançait dans une double polémique contre le socialisme d’Etat et la notion de droit au travail [2]. Il montrait comment le droit au travail était inséparable de l’obligation du travail abstrait, de la soumission des travailleurs à cette puissance extérieure de plus en plus irrésistible. Il montrait également que l’intervention de l’Etat en tant que régulation des relations abstraites de travail — échanges privés entre le capital et le travail, soumission collective dans le processus de production – était la conséquence inéluctable de ce droit au travail et dans le prolongement de l’impuissance des salariés. Aujourd’hui, tout se passe comme si ce débat n’avait pas eu lieu ou avait laissé très peu de traces. Le mouvement ouvrier organisé, dans les pays capitalistes, se préoccupe essentiellement de valoriser au mieux la force de travail à travers l’extension de la réglementation étatique des relations de travail. Il semble d’ailleurs ne voir d’autre issue aux problèmes actuels que la réorganisation de la société autour du travail, d’un travail qui n’est socialisé que par la compétition et les échanges inégaux, c’est-à-dire par la valorisation différentielle d’activités abstraitement mesurées. Il se comporte comme si la prestation de travail était la voie de l’auto-réalisation des individus, c’est-à-dire comme si les travailleurs devaient continuer à investir concrètement le travail abstrait pour construire leur trajectoire sociale, et par là même se saisir comme des vendeurs compétitifs de force de travail. Le travail abstraitement conditionné est, de cette façon, saisi comme le critère de référence pour toutes les activités, le juge de paix qui pèse ce qui est peine et loisir, calcul et dépense, gain et perte. Il s’empare de la polymorphie de l’action (multidimensionnalité des relations entre les sujets et entre ceux-ci et les objets) pour en faire une production unilatérale du sens (de réduction du multiple à l’un). Dans ce contexte, la lutte pour le pouvoir, si âpre soit elle, ne peut être autre chose qu’une lutte pour prendre en mains l’Etat comme l’instrument privilégié pour créer ou maintenir de bonnes conditions générales de valorisation. A ce propos, on peut bien entendu, parler aussi de « psychanalyse à rebours », de refoulement de tout ce qui dérange des relations sociales bien ordonnées ou des activités individuelles conformes à ce qu’on peut en attendre. Le mouvement ouvrier, sous son visage traditionnel, apparaît comme singulièrement figé dans ses attitudes et ses comportements.

C’est ce conformisme latent qu’on retrouve plusieurs fois multiplié dans les pays du « socialisme réel », constitués autour d’une sorte de civilisation du travail abstrait sans capitalistes et sans capital. Il est facile, évidemment, de les considérer comme des caricatures (ce qu’ils sont très souvent), il reste néanmoins qu’ils montrent où peut conduire le fétichisme du travail, c’est-à-dire sa transformation en une réalité naturelle dépassant la diversité historique des modes et des rapports de production. La planification qu’ils pratiquent se dévoile de plus en plus, malgré toutes les réformes, comme une machinerie à reproduire l’activité productive soumise — concédant le surtravail à une minorité privilégiée — en tant que principale activité vitale de la très grande majorité. Il est donc temps de se souvenir que, pour Marx, le travail associé n’est pas le travail abstrait sans le capital, mais le contrôle social des activités productives, leur socialisation sans passage par la valorisation, dans le but de libérer toutes les activités humaines de leur emprisonnement actuel. Il ne s’agit plus de chercher la rationalité dans le face à face du sujet et de l’objet qui, pour la plupart, se renverse en un face à face du capital et du travail abstrait qu’il va absorber, mais dans une multiplication des échanges libres des hommes entre eux, condition d’échanges libérés avec le monde. La conscience libératrice n’est pas celle qui cherche désespérément à résoudre les problèmes du travail abstrait par le travail abstrait, que ce soit au niveau de l’individu ou au niveau du groupe, mais bien celle qui partirait de la crise présente des rapports de travail pour poser autrement les problèmes de la solidarité et de l’action collective. L’Ecole de Francfort qui a exploré toutes les apories de la conscience monadique des individualités de la société contemporaine nous y invite.


Source : exemplaire personnel





Site
consacré
aux écrits
de
Jean-Marie
Vincent
(1934-2004)




[1Orientation bibliographique sommaire :

Parmi les publications récentes, on signalera :
David Held, Introduction to critical theory, Horkheimer to Habermas, Universit of California Press, Berkeley, Los Angeless, 1980.
Woldgang Bonss, Axel Honneth (sous la direction de), Sozialforschung als Kritik, « Zum sozialwissenschaftlichen Potential der kritischen Theorie », Surhkamp verlag, Frankfurt am Main, 1982.