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Introduction

La Théorie critique de l’école de Francfort

p. 13-56, Galilée, 1976




L’Ecole de Francfort a connu et connaît encore une fortune extraordinaire dans les milieux intellectuels du monde occidental, particulièrement dans les pays anglo saxons et de langue allemande. Le phénomène s’explique aisément, si l’on considère que les principaux représentants de l’école, Adorno, Horkheimer, Marcuse apparaissent à la fois comme des continuateurs de la grande tradition philosophique allemande et comme des critiques intransigeants de la culture et de la civilisation bourgeoises actuelles. De différentes manières, ils traduisent le désenchantement d’une grande partie de l’intelligentsia devant l’évolution du monde contemporain, son pessimisme quant aux résultats de l’engagement politique révolutionnaire, mais aussi sa volonté de ne pas sacrifier sur l’autel du pouvoir l’indépendance de la pensée. Sans doute les uns et les autres ont-ils tiré des conclusions différentes de la contestation étudiante de la fin des années soixante, mais aux yeux de ceux qui les apprécient, ils ont le mérite commun de maintenir une réflexion d’avant-garde dans un contexte social et culturel de pragmatisme et de rationalité capitalistes. A cet égard, leur méfiance devant les pièges de l’action, leur tendance à privilégier la théorie sont perçues positivement comme une condition de leur efficacité critique, et non comme la recherche d’une tour d’ivoire confortable. On leur est reconnaissant de se placer au dessus de mêlées confuses et, déroutantes, au-dessus d’un présent déconcertant et décevant pour préserver les chances d’un monde plus humain.

Cette image qui ne rend pas compte de la complexité de la Théorie critique, mais reflète bien certains de ses derniers développements, a quelque chose de très paradoxal pour un courant de pensée qui, à l’origine se préoccupait essentiellement de l’unité de la théorie et de la pratique et qui, de ce fait, liait son sort au mouvement ouvrier et révolutionnaire. C’est pourquoi il apparaît indispensable, avant tout autre examen de s’interroger sur la situation du mouvement révolutionnaire et de son arme théorique, le marxisme lors des années décisives où se cristallisèrent les principales thèses de l’Ecole de Francfort.

En l’occurrence, il s’agit évidemment de s’interroger sur la théorie et la pratique du mouvement ouvrier allemand après la première guerre mondiale et l’effondrement du régime impérial. La société allemande fut sérieusement secouée par la Révolution de Novembre et c’est seulement après octobre 1923 qu’elle commença de nouveau à se stabiliser avec beaucoup de difficultés. Au cours de ces cing années d’affrontements, la classe ouvrière fit donc preuve d’une très grande combativité, donnant naissance à des conseils ouvriers, à des détachements armés, s’engageant dans plusieurs grèves générales et épreuves de force. Néanmoins, on peut constater que les forces contre-révolutionnaires surent faire face à tous les défis et profondément influencer le mouvement ouvrier lui-même [1]. Ce sont les social-démocrates majoritaires qui furent les principaux agents de l’écrasement du spartakisme en 1919 et ce sont les dirigeants syndicaux les plus influents qui favorisèrent la politique d’intégration du grand patronat (commissions économiques paritaires). En fait, la classe ouvrière ne put faire son unité que sur des objectifs défensifs et ne parvint jamais à se retrouver pour mettre fin au régime capitaliste. Même dans les moments les plus favorables, ceux où les révolutionnaires semblaient avoir l’appui de la majorité des couches prolétariennes, la prise du pouvoir se révéla un objectif irréalisable : trop de problèmes de stratégie et de tactique restaient irrésolus. Dans ce domaine, l’héritage de la social-démocratie d’avant-guerre fut très lourd à surmonter, non seulement à cause du conservatisme et de la bureaucratisation de l’appareil du Parti, mais aussi en raison des déficiences des radicaux de son aile gauche. Rosa Luxembourg et ses amis avaient percé à jour l’opportunisme de la direction social-démocrate bien avant le retournement d’août 1914, mais ils n’avaient à peu près rien entrepris pour lui opposer une force constituée, susceptible d’intervenir sur le terrain de la lutte des classes en toute indépendance. La plupart d’entre eux escomptaient que la pression des masses suffirait à bousculer les oppositions et les résistances au moment de la crise révolutionnaire. Pendant la guerre, le groupe spartakiste fut extrêmement réduit en nombre, et malgré le succès de l’agitation de Liebknecht ne put empêcher les travailleurs déçus de se tourner vers la social-démocratie indépendante, sa confusion et son pacifisme (Kautsky et Bernstein en étaient membres [2]). Le travail de fraction qui fut ensuite entrepris dans cette dernière ne put naturellement donner que de maigres résultats, d’autant plus maigres que beaucoup de révolutionnaires voyaient en lui une compromission, voire une démission. La fondation du parti communiste ne put par conséquent s’opérer dans de bonnes conditions et obtenir un écho suffisant dans les masses ouvrières. Rosa Luxembourg qui avait saisi la nécessité d’un travail d’organisation systématique pour donner toute leur portée aux mots d’ordre révolutionnaires et pour aiguiller la classe ouvrière vers la formation de ses propres organes de pouvoir, se heurta à la majorité des spartakistes. Quand elle préconisa la participation aux élections à l’Assemblée nationale constituante et la participation aux syndicats réformistes pour gagner les masses encore influencées par la social-démocratie à une politique communiste, elle fut mise en minorité aux côtés de Karl Liebknecht. Les militants spartakistes croyaient en général qu’il suffisait de préconiser l’extension des conseils ouvriers et de dénoncer la démocratie bourgeoise pour faire avancer la cause révolutionnaire. Les organisations réformistes elles-mêmes ne leur semblaient constituer que des obstacles temporaires, des organisations à double face, et par le fait même faciles à démasquer. L’impréparation politique des masses et des organisations leur échappait à peu près complètement. Ils ignoraient en particulier la relation étroite qui devait exister entre les progrès de l’auto-organisation ouvrière et les progrès de la clarification politique sur les objectifs à atteindre face au pouvoir toujours organisé de la classe dominante. En un mot, beaucoup de communistes n’arrivaient pas à déterminer clairement les points sur lesquels il fallait faire porter les efforts principaux pour vaincre une bourgeoisie expérimentée [3].

Après l’assassinat de ses leaders les plus prestigieux, le Parti dut se séparer de son aile la plus extrémiste pour nouer des liens solides avec la fraction la plus avancée de la classe ouvrière. En 1920, il réussit à fusionner avec la majorité du parti social-démocrate indépendant. Pour autant ses difficultés n’étaient pas terminées. Si ses dirigeants évitaient les erreurs les plus grossières, ils ne savaient guère comment faire face aux tensions de la situation. Ils étaient ainsi une proie désignée pour certains conseillers en « Révolution » de l’internationale communiste qui les poussèrent à l’aventure désastreuse de mars 1921 (tentative avortée de prise du pouvoir). Dans son ensemble, le Parti appréciait mal les variations du rapport des forces et cherchait souvent de façon volontariste à rattraper les occasions perdues. Aussi est-ce avec beaucoup de réticences qu’il s’engagea dans la politique de front unique de la classe ouvrière préconisée par Lénine et Trotski. De nombreux militants avaient l’impression que l’objectif proclamé, la conquête de la majorité de la classe ouvrière, ne pouvait se concilier avec les moyens définis, les actions unies avec les réformistes. Ils craignaient qu’on ne revalorisât ainsi des agents de la Contre-Révolution (les assassins de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht). Le groupe dirigeant du Parti autour de Heinrich Brandler ne fit pas grand-chose pour les détromper. Il transforma largement la tactique du front unique en une stratégie, c’est-à-dire en un but en soi, en perdant de vue les objectifs essentiels, l’épanouissement du mouvement des conseils ouvriers et la prise du pouvoir. Il y eut des succès apparents sur la base de cette orientation. Le Parti augmenta son influence électorale et son influence dans les syndicats au point qu’il n’est pas erroné de penser que, pendant quelques mois, il acquit la majorité de la classe ouvrière. Mais le revers de la médaille était moins brillant. Quand survint la crise révolutionnaire de l’année 1923, le Parti était on ne peut plus mal préparé à y faire face. Dans de très nombreuses régions d’Allemagne, il était embourbé dans ses rapports avec la social-démocratie et n’était guère capable de passer d’une attitude d’opposition passive à une attitude offensive pour exploiter la crise de l’ordre bourgeois. Durant de longs mois, malgré l’occupation de la Ruhr par les troupes françaises et l’inflation galopante, le Parti temporisa. C’est seulement à la suite de virulentes critiques venant de Moscou qu’il se décida à emprunter le chemin de l’insurrection. Mais il le fit en mettant l’accent beaucoup plus sur la préparation technique, que sur la préparation politique et la mobilisation des masses. Le résultat fut évidemment un fiasco complet. En octobre 1923, la direction dut décommander tous les préparatifs de l’insurrection, parce que les points d’appui politiques sur lesquels elle comptait, le gouvernement socialiste et communiste de Saxe ainsi que le congrès des comités d’entreprise se révélèrent trop incertains.

Cette déroute sans combat ne fit que renforcer les opposants de gauche qui n’avaient jamais admis la politique de front unique et poussèrent à une révision à peu près complète de l’orientation du Parti. Portés à la direction de l’organisation par l’aide de Zinoviev et par le mécontentement des militants les plus actifs, les dirigeants de la gauche renouèrent en effet avec une conception de l’offensive à tout prix, tout en attribuant les déboires du passé le plus immédiat à la mollesse de Brandler et de ses amis. Ils crurent trouver une solution-miracle dans un hyper-léninisme qui faisait du Parti et de sa capacité offensive l’agent quasi unique de la transformation révolutionnaire de la société. Des esprits aussi critiques que Karl Korsch croyaient alors que le Parti garantissait par sa seule activité l’unité de la théorie et de la pratique [4]. Il en découlait, bien sûr, qu’à leurs yeux, ceux qui ne faisaient pas allégeance directement ou indirectement au Parti étaient des adversaires dangereux utilisables par la contre-révolution. C’est en 1924, au cours de cette période de « bolchevisation » que commencèrent les dénonciations de la social-démocratie en tant qu’organisation social-fasciste, c’est-à-dire en tant que principal agent de la fascisation du pouvoir. Sur cette lancée le Parti tendait à ne plus faire de différences entre les forces qu’il affrontait et en conséquence, à instaurer un véritable état de siège dans son propre sein. De cette façon, il perdait le contact avec l’évolution réelle de la société allemande et sacrifiait à un radicalisme abstrait postulant une tension toujours plus grande des rapports de classe et une incapacité fondamentale du capitalisme à surmonter, même temporairement, ses contradictions. Alors qu’en 1924-1925 la reprise économique et la stabilisation sociale se faisaient sentir un peu plus chaque jour, le Parti en était toujours à prédire l’arrivée prochaine d’une crise révolutionnaire. Les répercussions d’un tel aveuglement furent particulièrement graves : le Parti vit se distendre de nouveau ses liens avec les masses ouvrières et dut vivre de plus en plus sur lui-même, c’est-à-dire dans un monde idéologique fermé. Ses militants, dans leur majorité, se raccrochèrent à une grille d’interprétation du réel rigide, mais qui avait l’avantage de porter l’estampille des héritiers de la Révolution victorieuse d’Octobre. Par là même, ils pouvaient justifier à leurs propres yeux les insuccès et les échecs qu’ils rencontraient presque quotidiennement. Les actions qu’ils menaient étaient détachées de leur contexte objectif et de leurs effets réels pour prendre une signification prédéterminée et forcée. Il va sans dire que nombreuses réactions se firent jour contre ce système clos et contre ce refus a priori de l’expérience. Des militants qui avaient appartenu à la gauche unie de 1924 s’en séparèrent en remettant en question tel ou tel aspect de la politique suivie pour mieux tenir compte des circonstances. Tous ou presque tous furent entraînés, au bout de quelque temps, à critiquer la totalité de l’orientation adoptée, c’est-à-dire à mettre en question le rôle de la direction soviétique et des thèses qu’elle sanctionnait de son autorité. Au bout du compte, il ne pouvait y avoir que des excommunications et des ruptures éclatantes qui faisaient des opposants des renégats combattus avec la dernière énergie, et des membres du parti une masse encore un peu plus dépendante du message sacré de sa direction. Les seuls opposants qui arrivèrent à se maintenir tant soit peu dans l’organisation (jusqu’en 1928) furent les brandlériens qui prirent précisément soin de ne pas aller au-delà des désaccords tactiques et de ne pas porter de condamnations définitives sur la politique des dirigeants soviétiques [5]. Beaucoup d’autres opposants, réduits à l’impuissance dans les secteurs d’influence communiste, tentèrent de reprendre pied par un appel à la spontanéité des masses, mais dans un contexte d’accalmie sociale ils rencontrèrent encore moins d’écho que les gauchistes de 1920. Le parti communiste allemand descendit toujours plus vite la pente de la stalinisation.

Cette évolution du communisme n’eut pas seulement pour conséquence d’empêcher la maturation d’une stratégie révolutionaire, mais aussi de paralyser dans une large mesure le prolétariat face à l’action des autres classes. En d’autres termes, la dynamique révolutionnaire dont la classe ouvrière était porteuse, devait céder du terrain, au fur et à mesure que les années s’écoulaient, à la dynamique contre-révolutionnaire suscitée par la bourgeoisie. A l’origine, c’est-à-dire en 1918, la petite-bourgeoisie, bien que partagée, était sensible à la force de l’intervention ouvrière dans presque tous les domaines. Elle essayait de s’y adapter sous les formes les plus diverses en conservant son quant à-soi et plus précisément en soutenant les mouvements démocratiques de gauche qui lui paraissaient de nature à tempérer les solutions extrémistes, à droite ou à gauche. La petite-bourgeoisie apparut ainsi comme le principal soutien social de la République de Weimar, tout au moins au cours de ses premières années. Toutefois elle n’était pas par elle-même un élément véritablement stabilisateur, assis sur une position économique sûre. Toutes les contre offensives de la bourgeoisie la frappèrent de plein fouet dans ses moyens d’existence, dans sa croyance au progrès et, bien sûr, dans son attachement encore fragile aux valeurs démocratiques. L’anticapitalisme auquel elle était sincèrement attachée, prit très vite une coloration rétrospective, nostalgique d’un passé où la petite-bourgeoisie n’avait pas à craindre des déclassements massifs. En l’absence d’une issue socialiste crédible, elle cherchait désespérément à conserver sa place au-dessus du prolétariat, découvrant dans ce dernier un ennemi mortel au fur et à mesure qu’il s’avérait incapable d’imposer sa volonté à l’ensemble de la société. La crise de la société allemande ne pouvait donc lui apparaître dans ses termes réels, en fonction des affrontements entre les deux classes fondamentales de la société. Il lui fallait au contraire trouver des responsables, des boucs émissaires pour ses propres souffrances dans les couches traditionnellement méprisées de la société, en même temps que des justifications dans des sédiments idéologiques particulièrement vieillis. Le mal venait de tout ce qui affaiblissait la communauté nationale, des valeurs cosmopolites des marxistes et des capitalistes juifs, de la recherche effrénée du progrès économique et technique et, bien sûr, de l’abandon des valeurs d’ordre, de sens de la hiérarchie. A priori ces vues n’étaient pas inéluctablement vouées à se durcir en une conception fasciste du monde, mais elles furent systématiquement cultivées et exaspérées par les couches dirigeantes. Les « Junkers », c’est-à-dire les grands propriétaires fonciers d’origine féodale qui savaient que leur place dans la société dépendait de leur poids dans l’armée, se firent les hérauts de la fraternité des tranchées, c’est-à-dire d’une sorte de fraternisation au-dessus des classes dans un cadre solidement structuré. La haute bureaucratie, particulièrement celle de la police et de la justice joua au maximum sur les besoins de sécurité que ressentaient des petits-bourgeois constamment menacés dans leurs propriétés personnelles. La grande bourgeoisie qui au cours des crises avait encore développé son pouvoir économique, diffusa massivement une idéologie nationaliste, pour ne pas dire xénophobe. Elle pensait de cette manière faire d’une pierre deux coups, d’une part lier une partie des masses à son propre char, d’autre part exercer une pression permanente sur les puissances victorieuses du traité de Versailles. Sur la base d’un malaise social à peu près permanent, tout cela ne pouvait que constituer un mélange explosif, terriblement dangereux pour l’existence même du mouvement ouvrier allemand.

La stabilisation relative des années 1924-1929, loin de mettre fin à cette dynamique contre-révolutionnaire, contribua à l’entretenir souterrainement. Le capitalisme allemand endetté auprès des Etats-Unis se lança, pour faire face à ses obligations, à la conquête des marchés extérieurs et par voie de conséquence, dans une entreprise de rationalisation accélérée de son appareil de production. La petite bourgeoisie fut de nouveau atteinte, bien que de façon plus insidieuse et moins spectaculaire. La paysannerie s’endetta considérablement auprès des banques alors que beaucoup d’artisans et de commerçants devaient se transformer en sous-traitants de la grande industrie et du grand capital commercial. De son côté, la petite et moyenne fonction publique vit son prestige diminuer fortement face au pouvoir de l’argent. Toutes ces couches voyaient d’un mauvais oeil les avantages ou les privilèges dont la bureaucratie social-démocrate, syndicale ou politique, paraissait jouir dans la République de Weimar : sécurité de l’emploi, responsabilités administratives obtenues par le biais de la politique. On pouvait, en se fixant sur ces symptômes, attribuer beaucoup des problèmes irrésolus au « système », c’est à-dire à une entité où les représentants des travailleurs se faisaient les complices des requins du grand capital. Le réformisme auquel se résignait une bonne partie de la classe ouvrière, faute de mieux, ne faisait naturellement qu’apporter de l’eau au moulin de ceux qui interprétaient la société selon cette clé grossière. On dénonçait « les bonzes », c’est-à-dire les permanents social-démocrates, en les confondant avec les spéculateurs et les profiteurs de toutes sortes. Le régime de Weimar présentait en ce sens la singulière particularité d’être dominé par des organisations politiques et des clientèles électorales qui ne le défendaient pas par conviction, mais pour des raisons d’opportunité très fragiles. Seule la social-démocratie — et quelques petites organisations — lui était sincèrement attachée, mais elle-même devait s’adapter à un climat en général réactionnaire pour rester un partenaire recherché. C’est pourquoi, malgré l’intérêt qu’elle portait à la S.D.N. et aux tentatives de sécurité collective patronnées par la Grande-Bretagne et la France, elle devait à sa manière cautionner une politique étrangère nationaliste, sans pour autant convaincre de son dévouement à la cause de l’Allemagne brimée par le capitalisme occidental.

Le paradoxe de cette évolution lente vers la droite est qu’elle était rien moins qu’irréversible. Comme l’a noté Ernst Bloch dans Erbschaft dieser Zeit [6], l’opposition de la petite-bourgeoisie à la République de Weimar et plus précisément au mouvement ouvrier reposait sur une série de quiproquos qui auraient pu être levés avec un minimum d’efforts. A sa façon la petite-bourgeoisie manifestait sa nostalgie d’une société débarrassée des barrières de classes et de l’exploitation. La jeunesse en particulier était pleine d’aspirations à un monde différent, caractérisé par une véritable fraternité et ignorant les contraintes de la propriété privée. La « bündische Jugend », c’est-à-dire les organisations de jeunesse dites apolitiques traduisaient parfaitement cet état d’esprit. La plupart étaient à la poursuite d’activités leur permettant d’échapper au présent de la société, à sa monotonie et à sa dureté. Le culte de l’héroïsme, la mystique de la camaraderie qui étaient sans doute des valeurs très ambiguës, représentaient dans ce contexte une protestation toujours renouvelée contre les conceptions dominantes de la vie. L’exaltation d’un passé mythique — âge d’or des tribus germaniques ou démocratie paysanne guerrière — tout autant qu’un refus de l’histoire contemporaine et de ses contradictions signifiait la recherche d’un autre avenir que celui déterminé par le développement capitaliste. Comme l’a encore noté Ernst Bloch, la petite-bourgeoisie se retranchait dans une autre temporalité historique dont les points de repère et les coordonnées imaginaires opposaient un écran à une véritable compréhension de la société contemporaine, mais n’empêchaient pas des échappées vers des utopies non bourgeoises. A côté des vieilles caractéristiques de l’éthique petite-bourgeoise, se faisaient jour des tendances nouvelles, refus de l’esprit de parcimonie et du culte du rendement, rejet de l’individualisme et de la morale sexuelle traditionnelle, etc. On peut d’ailleurs remarquer qu’une partie notable de l’intelligentsia nationaliste, celle que l’on qualifiait de national-bolcheviste [7] alliait à sa mystique du « Reich » un grand intérêt pour la Révolution d’Octobre et la jeune Union soviétique, L’Ouest capitaliste était perçu comme le lieu de la décadence, de l’affairisme et de l’impérialisme apatride alors que l’Est russe était conçu comme un ferment de renouvellement des valeurs populaires. Les national-bolchevistes n’étaient pas seulement des partisans d’une alliance militaire avec l’Union soviétique, ils pensaient pouvoir retirer beaucoup des premières expériences de la planification et des tentatives faites pour soustraire l’économie à l’emprise du profit. Leurs rapports avec la droite nationaliste traditionnelle ne pouvaient donc être très étroits, ni très confiants et les polémiques ne manquaient pas, sur les sujets les plus divers.

Aussi, malgré une tendance assez générale vers la réaction, serait-il faux de se représenter les choses comme si les communistes étaient démunis devant ces développements idéologiques. Il leur était possible de dénoncer les équivoques et les aspects inconsistants de toutes ces constructions, tout en prolongeant les aspirations positives qu’elles pouvaient contenir. En ce domaine l’objectif essentiel aurait dû être de combattre les angoisses injustifiées de la petite-bourgeoisie (la perception du socialisme comme abolition des différences) et de tout faire pour la remettre en contact avec le temps historique de la classe ouvrière, avec les réalités de l’exploitation et de l’oppression. Mais ce n’est pas la voie qui fut choisie. Le parti communiste en voie de stalinisation de la moitié des années vingt crut possible de jouer sur les ambiguïtés des idéologies petites bourgeoises en acceptant certains de leurs thèmes les plus dangereux, le nationalisme, la lutte indifférenciée contre le « système » de Weimar, la dénonciation de la « politique », etc. Il ne faisait ainsi que semer la confusion, et la convergence apparente qui s’établissait entre communistes et nationalistes contre les social-démocrates et les politiciens du « renoncement » ne faisait guère apparaître les frontières de classe. Sur le fond, cela renforçait les idéologues petits-bourgeois dans leur volonté de conserver leur originalité, puisqu’ils se voyaient justifiés par ceux qui se proclamaient révolutionnaires. Fait encore plus grave, une partie de la bourgeoisie pouvait, à la faveur de cette confusion, soutenir les courants les plus réactionnaires (racistes, fascistes), sans que ces derniers perdent leur auréole « révolutionnaire », puisqu’ils pouvaient faire de la démagogie nationaliste et anti-système pour faire oublier leurs véritables objectifs, entre autres la destruction du mouvement ouvrier. En d’autres termes, l’opportunisme des communistes dans le domaine idéologique apporta sa contribution à une série de glissements idéologiques qui valorisèrent les mythologies les plus négatives, la rage destructrice des couches petites-bourgeoises les plus exaspérées par la mise en question des vieux rapports d’autorité. Plus la critique épargnait le nationalisme et le militarisme, plus il était logique de rechercher des solutions dans le passé idéalisé et de condamner la dissolution des formes anciennes de relations sociales. C’est bien pourquoi les nazis et plus précisément leur fraction hitlérienne purent imposer leur hégémonie graduellement dans le camp des opposants petits-bourgeois à la République de Weimar.

C’est toutefois sur le plan le plus directement politique que se livrèrent les combats décisifs. A la fin de la période de stabilisation relative, les partis du centre dominaient toujours la scène politique (formation d’une grande coalition sous la direction du social-démocrate Hermann Müller) et la mobilisation anti-ouvrière des masses petites-bourgeoises n’était pas encore réalisée. Elle ne put en fait s’opérer qu’en raison des erreurs et des concessions politiques des organisations se réclamant de la classe ouvrière dans la conjoncture créée par la crise économique mondiale. La social-démocratie suivit sa pente naturelle et pratiqua une politique du moindre mal qui consistait à soutenir la droite pour conjurer le danger d’extrême droite. Dans des circonstances où les cercles dirigeants de la bourgeoisie tentaient par tous les moyens de faire payer les frais de la crise par la classe ouvrière, elle ne sut que prêcher la modération et l’attente de jours meilleurs aux travailleurs qu’elle influençait. Par son respect fétichiste d’une légalité que plus grand monde ne reconnaissait, elle stérilisait en outre des forces nombreuses qui auraient été capables d’intervenir contre les bandes armées national-socialistes. Plus que jamais la social-démocratie se comportait comme une agence de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier. On ne pouvait sans doute pas faire le même reproche au parti communiste, mais son rôle ne fut pas moins négatif dans cette situation de crise. Après être revenu quelques temps (1926-1927) à une politique de front unique mais dans un sens assez opportuniste, il se laissa de nouveau imposer par l’Internationale communiste la dénonciation du social-fascisme de la social-démocratie comme tâche principale. La crise économique était censée très rapidement se transformer en crise révolutionnaire et le réformisme était présenté comme le seul véritable obstacle à la radicalisation des masses et comme la seule véritable arme de la contre-révolution. Il fallait donc chercher partout la séparation la plus complète avec les social-démocrates pour pouvoir mieux les combattre, en particulier dans les syndicats et dans les organisations de masse. La R.G.O. ou opposition syndicale rouge contrôlée par les communistes organisa un peu partout des scissions pour rassembler les ouvriers révolutionnaires et régénérer le mouvement syndical. Le résultat de cette politique d’attaque systématique contre les petits et les grands social-fascistes furent désastreux. Les communistes obtinrent quelques succès auprès des chômeurs et d’une minorité radicalisée, mais perdirent peu à peu pied dans les bastions de la grande industrie. Leurs appels abstraits à la révolution rencontraient un écho électoral certain — inférieur, il est vrai, à celui des national socialistes —, néanmoins ils ne suscitaient aucune volonté précise d’organisation et ne préparaient pas à des luttes concrètement orientées vers un dépassement de la société capitaliste. En réalité, les communistes ne faisaient que traduire le rejet désespéré par une partie des travailleurs d’un régime qui ne leur apportait que chômage et souffrances. Ils se contentaient d’excommunications globales qui minimisaient les différences et les tensions existant entre les forces bourgeoises et entre les divers secteurs du réformisme (en 1931, l’aile gauche de la social-démocratie fit scission pour s’opposer à la politique du moindre mal). C’est pourquoi il n’est pas exagéré d’affirmer que, sur un fond d’activisme débridé le parti communiste était une grande force immobile, la plupart du temps paralysée lors qu’il était question d’affronter l’adversaire de classe sur le plan tactique [8]. En répétant sur tous les tons que la social-démocratie et les partis du centre n’étaient qu’une des faces du fascisme, il admettait sans l’avouer ouvertement que le fascisme était déjà au pouvoir et que l’accession des nazis au gouvernement, bien que non souhaitable, était d’importance secondaire. Le front rouge — l’organisation para-militaire du parti communiste — combattait avec courages les S.A. et les bandes brunes dans la rue et les réunions publiques, mais cela n’empêcha pas communistes et nazis de se retrouver ensemble lors du référendum contre le gouvernement social-démocrate de Prusse et lors de la grève des transports publics à Berlin (en 1932). Les dangers que comportaient les déports successifs vers la droite des gouvernements non parlementaires soutenus par le président de la République Hindenburg ne pouvaient, par conséquent, être saisis dans toutes leurs dimensions. Autrement dit, les dirigeants communistes ne s’apercevaient pas que la désorientation du mouvement ouvrier et son atonie apparente devant les manoeuvres des cercles réactionnaires du pouvoir présidentiel rendaient de plus en plus attirante pour la bourgeoisie la solution extrême du nazisme. En effet, l’éventualité d’une réaction ouvrière majeure face à une prise du pouvoir par Hitler devenait de plus en plus improbable, et elle seule aurait pu dissuader la partie la plus décidée du grand capital de faire jouer tout son poids en faveur de l’hitlerisme. Les communistes comme les social démocrates crurent voir dans l’échec relatif des nazis aux dernières élections de 1932 le début d’un renversement de tendances, mais c’était ignorer les réactions profondes des milieux dirigeants. Le tassement électoral de l’extrême droite ne pouvait les inciter à renoncer à leurs plans, il était au contraire une invite à les accélérer afin de ne pas laisser passer une conjoncture favorable. En définitive, les communistes assistèrent en spectateurs impuissants à l’arrivée au pouvoir de leur pire ennemi.

Cette reconstruction rapide du processus qui mena à la catastrophe historique de 1933 permet de saisir tout ce que peuvent avoir d’unilatéral certaines explications du nazisme. « Les masses ont désiré le fascisme », cette phrase de W. Reich a servi de justification à ceux qui rapportent tout à la psychologie sociale et aux phénomènes de massification qui ont particulièrement marqué la société allemande après la Première Guerre mondiale. De là il n’y a qu’un pas à franchir pour faire quasi exclusivement référence à la spécificité de l’histoire allemande ou à l’irrationnel de sa tradition. Mais il suffit de se poser quelques questions sur le pourquoi et le comment des poussées nazies, sur leur date et sur leur durée pour s’apercevoir qu’on ne peut faire abstraction ni des conditions économiques et sociales, ni surtout des développements politiques. C’est en effet sur le plan politique et après de dures batailles qu’arrivaient sur le devant de la scène telle ou telle idéologie et que s’opérait la sélection des mentalités appelées à devenir des modèles. Mais il est clair ici qu’on ne peut entendre la politique dans un sens trop restreint et trop technique, limité par les règles du jeu de la démocratie représentative et parlementaire et qu’il faut faire entrer en ligne de compte les changements des rapports de force entre les classes, l’état de solidité de l’hégémonie politico-culturelle de la bourgeoisie, les rapports entre la classe ouvrière et les organisations qui entendent la représenter (degré de proximité ou d’éloignement, bureaucratisation, capacités de direction stratégique et tactique). De ce point de vue, il faut considérer comme unilatérales et tout à fait insuffisantes les explications qui n’incriminent dans la politique du mouvement ouvrier que l’absence de front unique ou d’actions unies dans la phase de montée du nazisme. Par lui-même le front unique n’est qu’une forme vide, ce qui importe, ce sont ses résultantes au niveau des rapports de force avec la bourgeoisie et ses alliés. Le front unique n’a de sens que s’il dépasse très vite l’étape défensive et devient un moyen de ravir l’initiative politique à la classe dominante, c’est-à-dire redistribue les cartes des affrontements. Il ne peut, de ce fait, correspondre à une simple moyenne de la politique des organisations concernées, gommant les différences et les aspérités. Au contraire il implique pour être efficace que subsistent les rapports de concurrence entre les organisations et que le prolétariat soit confronté à des choix d’orientation et d’organisation clairs qui aillent au-delà de l’acquis et du présent. Il faut pour cela que le passé ne pèse pas comme un poids mort sur les vivants pour reprendre les termes de Marx, que les cristallisations idéologiques négatives soient peu à peu dissoutes et que les comportements politiques passifs ou purement réactionnels des travailleurs cèdent du terrain devant des actions délibérément et solidairement assumées. La preuve a contrario en est donnée par la politique de front populaire qui conduisit en France et en Espagne, après des succès initiaux, à de lourdes défaites parce qu’elle subordonnait le mouvement ouvrier à une aile de la bourgeoisie. Aussi, pour bien saisir les raisons de la catastrophe qui frappa le mouvement ouvrier allemand, faut-il expliquer son aveuglement stratégique et comment sa théorie est devenue prisonnière de pratiques opaques. C’est dire qu’il faut compléter l’examen historique par une analyse des impasses et des fermetures de la théorie en même temps que de son mode d’insertion dans les luttes sociales. Il s’agit en quelque sorte d’interroger la théorie sur sa cohérence et son efficacité en fonction de ses propres prétentions à bouleverser la relation théorie-pratique spécifique à la société bourgeoise.

Le marxisme théorique tel qu’il s’était développé la fin du XIXe et au début du XXe° siècle en Allemagne apparaissait aux yeux de ses propres partisans comme l’expression d’une théorie scientifique quasi achevée. On attendait de lui la formulation des lois du développement social comme on attendait des sciences du monde physique la formulation des lois du mouvement de la matière Selon l’interprétation prédomirante, il se situait dans le prolongement des efforts entrepris à l’époque moderne pour dépasser la métaphysique et la philosophie. En ce sens il était proche des sciences expérimentales dont il constituait en quelque sorte le couronnement. Ce bel optimisme qui tendait à considérer la pensée bourgeoise comme un simple reliquat du passé était toutefois tempéré par l’impact qu’avaient eu les critiques du scientisme sur tout le monde intellectuel. Sous l’influence des révisionnistes et des austro-marxistes, beaucoup de social-démocrates prirent l’habitude de distinguer dans l’oeuvre de Marx l’aspect scientifique et l’aspect éthique, l’analyse du capitalisme et l’objectif socialiste. Il y avait d’un côté une science de l’économie, le Capital, comparable dans ses fondements épistémologiques aux théories concurrentes et relevant par là des mêmes procédures de correction et de perfectionnement, et d’autre part un ensemble d’exigences de justice et de solidarité humaine. Cette séparation qui avait pour but de ne plus mêler les jugements à l’indicatif et les impératifs moraux, était évidemment lourde de conséquences. La théorie marxiste n’était plus critique du travail théorique spécifique à la société bourgeoise, critique des catégories mêmes de l’économie politique et de leur fonctionnement dans la réalité sociale, elle se préoccupait de moins en moins de savoir comment le capitalisme produisait sa propre négation, c’est-à-dire devait succomber à ses propres contradictions. Dans leur majorité les marxistes insensiblement s’adaptaient aux courants intellectuels dominants et abandonnaient toute idée d’utiliser une dialectique matérialiste pour bouleverser les conditions de la réflexion théorique et de son rapport à la pratique.

C’est contre cet état de choses que devaient réagir les théoriciens liés au nouveau parti communiste. Georg Lukács remit à l’honneur la critique de l’économie politique comme critique des phénomènes de fétichisation des relations sociales en même temps qu’il mettait le doigt sur les tendances profondément bourgeoises du marxisme dit orthodoxe. Il condamnait avec la dernière vigueur les tentatives des empiristes de réduire les phénomènes sociaux à des relations quantifiées entre choses. A cette science fétichisée il opposait une compréhension totalisante des processus basée sur la reconstruction de l’unité du sujet et de l’objet. Il n’y avait plus pour lui de fossé entre l’être et le devoir-être, puisque le socialisme et la Révolution devaient s’affirmer comme la réconciliation des hommes avec eux-mêmes et le monde contre la réification et la quantification des relations de travail et d’échange. L’unité de la théorie et de la pratique se trouvait ainsi rétablie, la théorie critiquant une réalité réifiée et s’appuyant pour cela sur la résistance des hommes à cette réalité (le prolétariat). Malheureusement, comme Lukács l’a reconnu plus tard, cette conception séduisante souffrait d’un défaut fondamental, celui de dévaloriser fondamentalement l’objectivité (à la manière hégélienne) en cherchant à instaurer une relation immédiate entre la pensée et l’action, la conscience des sujets et le monde, c’est-à-dire en fait une relation où la subjectivité s’incorpore l’objectivité et transforme la pratique en une simple incarnation de ses projections théoriques. En outre Lukács était dans l’incapacité de définir la place de la science et du mouvement scientifique par rapport à la théorie marxiste. Il avait tout au plus tendance à y voir des manifestations de la réification et dans son esprit la critique de l’économie politique se confondait largement avec une théorie de l’aliénation. Les notions de socialisme scientifique ou de critique scientifique du capitalisme n’avaient plus guère qu’une signification métaphorique dans ce contexte, et la pesanteur des rapports sociaux de production s’imposant aux individus comme une puissance étrangère dans la société bourgeoise apparaissait, non comme le fruit d’une organisation objective des relations des hommes avec leur environnement naturel et technique, mais comme le fruit d’une configuration négative et aberrante des comportements et des actions des hommes. C’est pourquoi la théorie telle que la comprenait Lukács prétendait trop facilement s’emparer de la réalité : elle n’ouvrait les perspectives de la transformation sociale que dans la pensée.

Karl Korsch qui partageait une bonne partie des critiques faites par Lukács au marxisme positiviste de la social démocratie, prit le problème différemment. Pour lui la théorie révolutionnaire devait suivre de très près les conditions de l’action subjective du prolétariat. La critique de l’économie politique était en ce sens une élucidation des obstacles à la libération des travailleurs et des moyens à employer pour y parvenir. Elle n’excluait donc pas l’acquisition d’un savoir positif et scientifique, bien qu’historique et éphémère. D’une certaine façon Korsch substituait à l’utilitarisme de la bourgeoisie une conception de la vérification de la théorie par le succès dans le combat politique révolutionnaire. Il n’avait donc pas tellement à s’interroger sur le statut de la théorie, sur le statut des concepts dont elle se servait. Dans une large mesure, il lui suffisait de sacrifier à un pragmatisme révolutionnaire pour satisfaire à ce qu’il croyait être les exigences d’une théorie et d’une pratique unies. Il oubliait par là, contrairement à une de ses intuitions les plus profondes, que la théorie dans ses développements les plus abstraits était déjà elle-même une forme de pratique, repliée sur ses privilèges apparents, c’est-à dire séparée des autres niveaux de la pratique pour mieux les verrouiller. Il ignorait également dans ce même mouvement que les pratiques a-théoriques étaient dominées par des théorisations implicites — les formes intellectuelles objectives et fétichisées dont parle Marx. Il ne pouvait donc que sous-estimer la nécessité de ruptures profondes au niveau de l’abstraction et de la conceptualisation (le théorico-pratique) et au niveau des actions et des comportements concrets (le pratico-théorique) pour briser le cercle vicieux produit par des relations aveugles entre les hommes et leur propre organisation sociale. En réalité, Karl Korsch était conduit, contre ses intentions les plus explicites, à concevoir les rapports entre théorie et pratique en termes d’adaptation réciproque, ce qui ne pouvait que rendre la théorie extrêmement dépendante des variations de la conjoncture politico-sociale. Ses efforts désespérés, après sa rupture avec le parti communiste, pour stabiliser sa propre théorisation en témoignent éloquemment.

La théorie qu’adopta peu à peu la majorité du parti communiste pouvait à bien des égards sembler moins aventurée, c’est-à-dire moins directement contraire à la tradition de la gauche social-démocrate de l’avant-guerre, et Karl Korsch par exemple ne s’est pas fait faute de souligner les analogies qui existent entre le nouveau « marxisme-léninisme » et le vieux kautskysme [9]. En réalité, dans la nouvelle orthodoxie communiste, la théorie se voyait attribuer, sous la forme d’une philosophie matérialiste dialectique, un statut tout à fait exceptionnel. Elle était censée représenter un fondement absolu pour la pratique et fournir des règles d’interprétation tout à fait universelles pour le passé, le présent, l’avenir de la nature et de la société. Elle rompait ainsi tant avec le scientisme pragmatiste des marxistes centristes qu’avec le refus de la philosophie propre à Franz Mehring et à d’autres social-démocrates révolutionnaires. Par l’intermédiaire des interprétations engelsiennes de la dialectique (loi générale) la théorie communiste renouait avec une filiation hégélienne, sans doute méconnue par la social-démocratie, mais lourde de déformations dogmatiques. La théorie tendait à devenir pour l’essentiel une philosophie de la nature et de l’histoire reléguant au second plan la critique de l’économie politique et la transformant en une science particulière de l’économie. Le problème de l’unité de la théorie et de la pratique ne pouvait donc être posé par référence à la division sociale du travail et par rapport à l’insertion de l’activité de connaissance dans les rapports sociaux de production. Il restait en termes très traditionnels, celui de la vérification de la théorie par la pratique, ce qui lui interdisait de devenir celui de la dissolution des formes intellectuelles objectives (les catégories fétichisées, organisatrices des rapports sociaux de productions et des pratiques sociales) sous le double effet de la critique des théories contemplatives et transcendantales et du renversement des pratiques a-théoriques, c’est-à-dire des pratiques dépendantes des catégories produites socialement dans le cadre bourgeois. Dans ces conditions, l’absolutisme théoriciste du « marxisme-léninisme » du P.C. pouvait très bien coexister avec un empirisme très plat, le premier étage de la théorie, celui des vérités universelles du matéralisme dialectique et du matérialisme historique, restant intangible alors que l’étage inférieur était modifié au gré des circonstances. Parler d’une théorie guide pour l’action à ce propos n’était qu’un voeu pieux ressortissant de la célébration du culte pour l’édification des fidèles. Pour être tout à fait juste, il faut, bien sûr, reconnaître que ce dogmatisme largement inspiré par les Soviétiques ne triompha pas sur toute la ligne, et bien des théoriciens gardèrent jusqu’en 1933 leur quant-à-soi. Mais cela ne pouvait rien changer de fondamental, puisque les conceptions théorique hétérodoxes ne pouvaient subsister qu’au prix d’une renonciation à toute critique de la politique concrètement menée par le Parti. Commentaire sur la réalité, la théorie ne pouvait plus recevoir de véritables impulsions de la Révolution d’Octobre, de l’oeuvre vivante et contradictoire de Lénine et encore moins tirer les leçons des défaites du mouvement révolutionnaire allemand. A ce niveau le diagnostic de Korsch retrouvait sa validité : comme la théorie social démocrate, la théorie qui se nommait elle-même communiste contribuait à la reproduction des rapports sociaux capitalistes par sa façon de refléter passivement les allées et venues de la lutte des classes.

On ne peut donc s’étonner que les communistes allemands se soient montrés particulièrement défaillants dans l’analyse du monde qu’ils vivaient. Dans le domaine économique la constitution d’un corps de doctrine se fit de façon extrêmement éclectique par la condamnation de différentes déviations et par la canonisation d’analyses souvent purement descriptives de Lénine. La théorie économique devait éviter le quiétisme social-démocrate (absence de limites à l’accumulation du capital), en même temps elle devait refuser le catastrophisme de Rosa Luxembourg (limites absolues à l’accumulaton du capital par manque de débouchés). Il fallait par ailleurs justifier la thèse d’une crise générale, agonique du capitalisme. On aboutissait en fait à des affirmations parfaitement contradictoires : d’un côté les économistes communistes expliquaient que les forces productives ne pouvaient plus se développer dans le cadre du capitalisme, mais d’un autre côté ils rejetaient toutes les conceptions tendant à étayer un tel pronostic. Des références stéréotypées aux contradictions croissantes de l’accumulation du capital, ilustrées par des exemples plus ou moins arbitraires, rempaçaient de véritables argumentations. Les communistes se contentaient trop souvent de dénoncer le parasitisme du capitalisme sans se préoccuper de définir précisément sa dynamique. C’est dans le domaine de l’analyse de l’internationalisation des mouvements de capitaux que les déficiences étaient particulièrement marquées. Les communistes concevaient implicitement l’économie internationale comme une juxtaposition d’économies nationales, tout au moins en ce qui concerne les pays capitalistes développés. C’est pourquoi ils interprétaient la pénétration des capitaux américains dans leur pays, facilitée d’ailleurs par les emprunts Daves et Young, comme des indices d’une colonisation de l’économie allemande, ce que leur permettait de justifier des thèmes programmatiques nationalistes (libération nationale du peuple allemand) Tout cela avait pour résultat de donner une tonalité particulièrement misérabiliste à la propagande communiste, ainsi tentée de s’appesantir plus sur les phénomènes de paupérisation que sur l’évolution des rapports de production.

Cette stérilité est d’autant plus frappante qu’à la fin des années vingt un économiste marxiste marginal comme Henryk Grossmann parvenait à des analyses autrement intéressantes et fécondes. Reprenant les discussions sur les limites de l’accumulation du capital [10] et sur l’effondrement du capitalisme, il s’efforçait de démontrer que l’accumulation n’avait pas des perspectives illimitées sans pour autant sacrifier à des vues trop mécanistes. Contre Rosa Luxembourg, il établissait que les difficultés réelles du capitalisme n’étaient pas essentiellement liées à la réalisation de la plus-value (insuffisance des débouchés) et récusait par avance toutes les théories stagnationnistes faisant référence à l’insuffisance de la consommation populaire. Pour lui le noeud du problème consistait dans la mise à jour des contradictions du processus de production de plus-value, c’est-à dire de mise en valeur du capital. S’appuyant sur les schémas de la reproduction élargie du Capital, il démontrait que, abstraction faite des contre-tendances étudiées par Marx, l’accumulation, au bout d’un certain temps, devait se heurter à un obstacle infranchissable, l’insuffisance de la production de plus-value entraînant les phénomènes dit de suraccumulation du capital. Son originalité, par rapport à tous ceux qui avaient déjà mis en lumière les effets de la baisse tendancielle du taux de profit consécutifs à l’élévation de la composition organique du capital, était de s’intéresser au premier chef à la masse de la plus-value comparée à la force de travail disponible et à la masse du capital à mettre en valeur. C’est dire qu’il ne déduisait pas l’arrêt de l’accumulation du capital d’un taux de profit trop bas — comme il le souligne Marx avait déjà réfuté des vues aussi simplistes — mais d’une réduction de la quantité de plus value (tendant vers zéro). Ce modèle théorique, rendu plus complexe par la prise en compte d’hypothèses écartées au départ (élévation du taux de la plus-value, etc.), lui permettait de conclure que le capitalisme n’était pas confronté à une menace absolue, mécanique, abstraite d’effondrement (Zusammenbruch), mais à des tendances toujours renouvelées à l’effondrement qui se faisaient jour dans et par la croissance économique. Le plus intéressant dans son traitement de la question était la façon dont il reliait le processus de valorisation (production du capital) au processus matériel de production (production de valeurs d’usage), montrant en particulier que la composition organique du capital ne pouvait être saisie indépendamment des possibilités physiques d’emploi (nombre d’ouvriers) ou de la quantité des produits consommables. La valorisation n’était donc plus considérée en elle-même indépendamment de ses présuppositions matérielles et de ses effets sur ces présuppositions, ce qui renvoyait par là- même aux hommes porteurs de ces processus d’échanges matériels avec la nature. En d’autres termes H. Grossmann ne se contentait pas d’examiner les rapports de valeur entre les variables de l’accumulation, il essayait de saisir la dynamique d’ensemble de la production sociale, en tenant compte notamment des rapports de force qui pouvaient s’établir entre les classes. En ce sens, la rentabilité du capital et le taux d’exploitation n’étaient plus des données simples, mais exprimaient des relations complexes entre les hommes et leur environnement matériel et technique. Implicitement il admettait que les difficultés de l’accumulation pouvaient trouver provisoirement leur solution dans des attaques massives contre la classe ouvrière, ce qui, bien sûr, le conduisait à poser les rapports du politique et de l’économique en des termes non « économistes ». En l’absence d’une intervention révolutionnaire décidée, le capitalisme arrivé à un palier de ses capacités d’accumulation devait déchaîner d’immenses forces destructrices (guerres, dévalorisation, etc.) pour reprendre sa marche aveugle.

H. Grossmann parvenait ainsi au seuil de la question essentielle, celle de la négation du capitalisme, c’est-à-dire celle de l’articulation de la politique révolutionnaire sur les contradictions objective de la société bourgeoise. Sur ce point ses réflexions ne dépassaient guère le stade des généralités, mais ce qui est frappant, c’est que dans leur abstraction elles paraissent pourtant beaucoup plus profondes que les conceptions développées par les dirigeants communistes. En effet, ceux-ci ne se départirent presque jamais d’une conception très petite-bourgeoise de la politique, la politique comme recherche des assentiments et comme production d’un consensus autour d’une ligne définie pour minimiser Ies résistances. La politique révolutionnaire n’était donc pas à leurs yeux un ensemble de moyens et d’interventions destinés à bouleverser des habitudes séculaires de passivité chez les travailleurs et à susciter dans leurs rangs les formes d’organisation leur permettant d’échapper aux conditionnements idéologiques et objectifs de la socialisation bourgeoise. Elle était encore moins une pratique en rupture avec les cloisonnements entre les différents niveaux de la vie sociale (l’idéologique, le politique, l’économique), pratique dont le résultat aurait dû être de rendre de plus en plus difficile la reproduction des formes sociales capitalistes. II n’est pas exagéré de dire que la politique menée par le parti communiste, malgré son « économisme » et ses multiples références aux soucis matériels des travailleurs, se situait à peu près tout entière dans le domaine des superstructures, c’est-à-dire rapportait tous les phénomènes de la sphère économique ou de la sphère culturelle à des significations unilatéralement développées en fonction d’affrontements politiques restreints et restrictivement interprétés. Le parti communiste répudiait en principe la démocratie formelle, mais dans la pratique il limitait son action à l’utilisation des tribunes qui lui offrait la République de Weimar. Au cours de sa période d’ultra-radicalisme verbal, il prétendait ainsi dépasser le réformisme et le corporatisme dans les grèves en surajoutant aux revendications économiques des mots d’ordre politiques généraux repris à ses thèmes d’agitation habituels (dénonciation du socia-fascisme, des méfaits du capitalisme, défense abstraite de l’exemple soviétique). En ce sens, les grèves qu’il pouvait diriger par l’intermédiaire de la R.G.O. étaient pour lui autant d’occasions d’affirmer l’excellence de sa ligne générale sans se préoccuper outre mesure des circonstances particulières qui avaient pu leur donner naissance. Les travailleurs ne pouvaient donc établir de continuité entre leur situation d’exploités et la politique qu’on leur proposait, sinon en la mythifiant, c’est-à-dire en surestimant sa portée et son efficacité. Il est on ne peut plus significatif que les conceptions conseillistes, si prisées dans les années vingt aient peu à peu disparu dans la propagande et la théorie politiques communistes. La prise du pouvoir pour le parti communiste des années trente n’était plus le couronnement d’un processus de création de conseils ouvriers, mais le fruit d’une épreuve de force où les moyens technique insurrectionnels devaient avoir la primauté. En réalité le parti communiste succombait au fétichisme de l’Etat et de la politique qu’il prétendait combattre conformément aux enseignements de L’Etat et la Révolution. La politique et l’Etat restaient des entités séparées des masses, des principes d’organisation et de sommation des opinions qui ne nécessitaient aucun bouleversement de la subordination de la classe ouvrière aux processus sociaux. La transformation de la société dans cette perspective pouvait s’opérer en extériorité par rapport à ceux qui devaient en être les principaux agents et bénéficiaires. Les communistes étaient pris ainsi dans une contradiction fondamentale. Ils demandaient aux travailleurs de s’enthousiasmer de façon durable pour une révolution dont ils n’avaient pas à juger les développements ou à contrôler la marche. Le parti communiste entendait, en somme, s’adresser à une classe toujours aussi atomisée, composée d’individus toujours socialisés dans l’isolement pour lui faire réaliser l’impossible. Il ne pouvait conjurer cette difficulté, pour la retrouver ensuite, qu’en lançant des appels à une confiance aveugle dans sa politique et qu’en se fiant lui-même à un déterminisme historique sans nuance, rappelant la prédestination des calvinistes.

Si la pratique politique du parti communiste n’était pas propice à un dévoilement de la seconde nature économique et sociale et à un dépassement progressif du caractère fétichiste-objectif des mécanismes du pouvoir, il ne fallait pas s’attendre non plus à le voir contester victorieusement l’hégémonie idéologico-culturelle de la bourgeoisie. Les idéologues communistes, il est vrai, introduisirent un nouveau style dans la polémique, plein d’agressivité et riche en condamnations péremptoires, mais cette violence ne donnait pas le change. Les communistes cherchaient surtout à isoler leur propre camp des influences diverses et contradictoires venant d’un monde intellectuel en pleine agitation, ils n’avaient pas quant au fond un esprit véritablement conquérant. Dans la plupart des affrontements les intellectuels communistes se contentaient d’accuser leurs adversaires de refléter le point de vue de l’ennemi de classe ou celui de la petite-bourgeoisie, ils se donnaient très rarement la peine de suivre la logique des argumentations pour en trouver les failles, ils tentaient encore moins de saisir le pourquoi d’un mouvement, les questions qu’il pouvait se poser, sa façon de comprendre, même en la déformant, la réalité capitaliste contemporaine. Les mouvements avant-gardistes étaient particulièrement tenus en suspicion parce qu’ils obligeaient à considérer comme ouverts des problèmes que l’orthodoxie communiste prétendait résolus depuis longtemps. Dans le domaine artistique par exemple, il ne pouvait être question de tolérer une exploration trop poussée des rapports entre l’individu et la société, entre l’individu et sa classe et d’essayer pour cela de bouleverser toutes les formes d’expression traditionnelles. Il ne pouvait être question non plus de s’appesantir sur la servitude et l’impuissance des hommes à l’intérieur des grands appareils bureaucratiques. En se soumettant à la volonté collective du Parti (identifiée à celle d’une direction décrétée infaillible) les communistes, et plus précisément les intellectuels trop souvent « contaminés » par l’anarchisme petit-bourgeois, devaient surmonter toutes leurs difficultés et leurs angoisses existentielles. Est-il besoin de le dire ? les communistes en adoptant cette attitude fermaient les yeux devant un aspect très important de la société bourgeoise, le malaise ou la révolte des couches intellectuelles dont le résultat était un affaiblissement de l’idéologie dominante. A travers la mise en question de la morale et de l’esthétique traditionnelles, à travers le rejet du quiétisme et de l’optimisme de la pensée libérale et modérée, ce sont des conceptions de la vie et des comportements conformes aux exigences de la reproduction sociale capitaliste qui se trouvaient atteints. Bien entendu, il n’est pas niable que ces glissements idéologiques pouvaient être très ambigus, que certains portaient vers la recherche de « nouvelles » valeurs aristocratiques et fascisantes (le mépris de l’humanité commune), que d’autres incitaient à se réfugier dans un pessimisme métaphysique et apolitique. Mais ce n’était qu’une des faces de la médaille, et les communistes auraient pu et dû utiliser cette crise de l’individualisme de la satisfaction et de la sécurité, cette angoisse devant la massification et l’isolement pour orienter les intellectuels les plus combatifs vers la recherche d’une individuation sociale ou d’une socialisation non antagoniste. Ils en étaient bien incapables dans la mesure même où ils se refusaient à voir que le mouvement des masses ouvrières vers leur libération nécessitait lui aussi une dialectique complexe entre libération collective et libération individuelle (passage de la dissociation des individus à leur association). A cet égard, il est très éclairant de constater que le parti, bien avant les excommunications venues de Moscou, adopta une attitude plus que réservée face à la psychanalyse et face au mouvement de libération sexuelle de la jeunesse pourtant non négligeable dans les rangs communistes [11]. Sans doute était-on encore loin des excès du réalisme socialiste et d’un esprit d’inquisition systématique comme ce fut la règle dans les années postérieures à la prise du pouvoir par Hitler. Les artistes ne se voyaient pas encore prescrire un style et une méthode de travail en fonctions de normes néo-classiques. Toutes sortes d’influences continuaient à se faire sentir chez les écrivains communistes par exemple, celles du journalisme et du cinéma, celles de l’expressionnisme et le la « Neue Sachlichkeit », celles du roman russe ou américain, etc. Toutefois ces influences diverses qui correspondaient à une insatisfaction profonde devant des formes d’expression figées et fétichisées, n’étaient pas assumées consciemment, ni non plus expérimentées avec un esprit suffisamment critique. Elles ne donnaient pas à ceux qui les utilisaient les moyens de transcender les tensions et les contradictions auxquelles ils étaient confrontés, surtout si l’on tient compte que la grande majorité d’entre eux essayaient en même temps de faire de leurs oeuvres l’illustraion de la ligne générale du Parti, au détriment de leur capacité de pénétration de la matière sociale. Le parti communiste qui abordait ce domaine avec des préoccupations politiques tactiques ou avec des formules toutes faites ne pouvait donc pas jouer le rôle dirigeant auquel il postulait, et, en réalité, il avait plus de compagnons de route que de véritables partisans de sa politique culturelle. Beaucoup d’intellectuels de gauche acceptaient de plus ou moins bon gré son orientation dans la politique quotidienne souvent faute de mieux, ils se refusaient par contre à prendre pour argent comptant les conceptions qu’il diffusait en matière idéologico-culturelle, des idées confuses sur l’art prolétarien aux dénonciations véhémentes du formalisme. Sur le terrain culturel il y avait bien une contestation vive et toujours renaissante des idéologies dominantes, il n’y avait pas de pratique authentiquement subversive. La classe dominante avait donc tout le loisir indispensable pour s’adapter aux changements de la situation, pour sélectionner parmi les courants qui se frayaient un chemin ceux qui pouvaient être utilisés ou retournés contre leurs intuitions originaires. L’appareil de diffusion des biens et services culturels qui avait pris sous le régime de Weimar une extraordinaire extension, jouait de façon permanente en ce sens, puisqu’il soumettait les intellectuels à des relations de type marchand (loi de l’offre et de la demande) et condamnait à l’isolement ou à de très grandes difficultés matérielles les artistes qui ne reconnaissaient pas la demande sociale.

Dans ce contexte, les intellectuels qui voulaient faire du marxisme l’instrument d’une critique révolutionnaire parce qu’ils ne pouvaient pas se contenter d’en faire une conception du monde, rencontraient des obstacles considérables sur leur route. Ils ne pouvaient s’appuyer ni sur une pratique politique libératrice des énergies du prolétariat ni sur une pratique théorique collective préparant la reprise d’une telle pratique politique ou créant tout au moins les conditions d’un dépassement de la production intellectuelle fétichisée. Il leur fallait non seulement affronter leur propre solitude, c’est-à-dire prendre leurs distances par rapport à leurs idiosyncrasies sans récuser pour autant les champs d’expérience qui s’offraient à eux, mais aussi faire leurs comptes avec un mouvement lourdement et négativement présent. Sans pouvoir nier son existence, il leur était impossible de l’accepter pour ce qu’il était et de se réconcilier avec son éclatement entre le réformisme et le révolutionnarisme abstrait (figure éphémère du stalinisme). Brecht, dont le maître en marxisme fut Karl Korsch et qui, pour cette raison ne se laissa jamais prendre à la rhétorique boursouflée du « social-fascisme » ou aux prophéties sur la victoire prochaine du socialisme, tenta de jouer le rôle d’un compagnon de route subtilement critique. La montée des forces contre-révolutionnaires en Allemagne interdisait à ses yeux toute rupture avec le parti communiste, force momentanément immobilisée par le poids de ses défaites et par le bureaucratisme des Soviétiques, mais dont il espérait qu’il ne stériliserait pas les forces révolutionnaires ou potentiellement telles. La tâche qu’il s’assignait par conséquent était de traquer toutes les formes de pratiques conservatrices, toutes les routines et les habitudes fétichistes s’opposant aux pratiques transformatrices au sein des classes populaires. L’art ne devait pas rester une protestation contre les rapports sociaux et les conditions d’existence de la société bourgeoise, et encore moins retomber dans la jouissance culinaire recherchée par le marché, il devait devenir une arme pour détruire les équilibres objectifs institués par la production capitaliste. Partie prenante d’une dialectique de la subversion, du renversement du haut et du bas, du noble et du vulgaire qui brisait les formes pour libérer la matérialité des rapports et délivrer les forces productives humaines, l’art de Brecht se rapprochait intimement de la politique sans pour autant tomber dans l’édification. Il appelait tous ceux qu’il pouvait toucher, particulièrement les communistes, à ne pas se contenter de certitudes établies et à remettre sans cesse sur l’ouvrage leurs règles d’action, leurs perspectives d’orientation. Mais cette dialectique de l’art et de la politique qui tendait toujours vers son propre dépassement pour garder ses distances par rapport aux couches fétichisées de la réalité, était en quelque sorte obligée de reposer sur elle-même sans pouvoir s’appuyer sur une pratique transformée d’au moins une partie du prolétariat et de ses organisations. Le franc-tireur qu’était Brecht, s’il voulait rester fidèle au rôle de compagnon de route qu’il avait choisi, était en fait conduit à s’adapter à une pratique politique myope, pour ne pas dire aveugle. La dialectique avec son esprit iconoclaste n’avait alors plus qu’à se réfugier dans une zone réservée, celle des rapports entre les intellectuels et la politique, d’où elle ne pouvait atteindre de ses flèches les fétiches les plus résistants de l’Etat et du pouvoir. La grandeur de Brecht, c’est bien entendu d’avoir su transgresser à plusieurs reprises ces limites en reliant la dialectique au référent concret de la lutte des classes au-delà de son reflet abstrait dans la sphère de l’idéologie. Sa tentative, pourtant, ne pouvait atteindre les ambitions qu’il s’était fixées ; elle ne secouait pas suffisamment l’édifice conservateur de la théorie satisfaite d’elle-même [12].

C’est aussi dans le sens d’un renouvellement de la dialectique — pour faire de nouveau danser des rapports figés — que s’engagea le jeune Marcuse à la fin des années vingt. Le marxisme n’était plus pour lui ou n’était plus que secondairement une théorie scientifique de la connaissance, puisqu’il semblait que l’absolutisme théorique rendit aveugles et dogmatiques ceux qui prétendaient guider l’action. Il fallait en faire fondamentalement une théorie de l’activité sociale ou de l’action historique afin de trancher dans le vif du problème théorie-pratique. Dans un article programmatique « Contributions d’une phénoménologie du matérialisme historique [13] » il écrivait : « Les vérités du marxisme ne sont pas des vérités de connaissance, mais des vérités de l’événement (Geschehens). » Il ne s’agissait plus seulement de critique le système de production capitaliste, mais de saisir la situation des hommes agissants dans toutes ses données concrètes et dans son historicité. Dans ce but, Marcuse se tournait vers la « Daseinsanalytik » (analyse existentiale) de Heidegger qui, à son avis, élucidait bien les déterminations primaires de l’être-là humain, c’est-à-dire les déterminations antérieures à toute l’objectivité abstraite, qu’elle soit spirituelle ou matérielle. L’homme devait être saisi dans son être-au-monde, dans ses possibilités d’existence inauthentique (das Man, l’extériorité) comme dans ses possibilités de dépasser cette déréliction par la compréhension de ce qui lui est propre (le souci comme être de l’être-là). Il fallait prendre conscience de sa capacité à répéter le passé, c’est-à-dire à répondre quelque chose de nouveau à ce qu’il avait derrière lui (le choc du présent avec le passé) en même temps qu’il fallait comprendre son enracinement dans l’être-là des autres et de sa génération. Sur cette voie on parvenait, selon lui, à restituer à la philosophie sa véritable destination de philosophie de l’existence par opposition aux philosophies de la conscience idéaliste qui mettaient à juste titre l’accent sur l’action, mais se révélaient incapables de la rapporter à ses origines concrètes. Il en tirait naturellement la conclusion que l’on ne pouvait fonder une théorie de l’action radicale qu’en faisant une synthèse du matérialisme historique et de la phénoménologie de tendance heideggérienne. Pour lui, la mobilité de l’histoire ou plus exactement son sens possible ne pouvait se trouver que dans l’avènement de l’existence authentique et non dans un simple bouleversement des conditions matérielles qui ne sont jamais indépendantes de l’être-là des hommes. Cela impliquait que l’autonomisation des structures économiques, que les phénomènes de réification de la société bourgeoise fussent compris comme des modalités ossifiées de la pratique, comme un oubli des significations qu’un rapport vrai à l’être pourrait lui donner. C’est pourquoi seul le prolétariat qui ne peut accéder à l’existence qu’en niant la situation qui lui est faite, pouvait être l’agent privilégié de la transförmation radicale de la praxis. Plus précisément, le prolétariat, parce qu’il était la seule classe à pouvoir comprendre la société bourgeoise dans son devenir historique et dans sa déchéance nécessaire (notwendige Verfallenheit), était aussi la seule classe capable d’une action historique fondamentalement distincte de l’activité capitaliste prisonnière de l’indépendance apparente des structures objectives. Par extension le dépassement des erreurs et des fautes du mouvement ouvrier devait s’opérer par une redécouverte des sources profondes de l’historicité, d’une historicité qui se préoccupe des variations et transformations du sens de l’existence, et qui renvoient non aux problèmes de l’activité bureaucratique, mais à ceux des hommes concrets. Marcuse se représentait donc le renouvellement du mouvement ouvrier comme un arrachement à l’affairement au tourbillon et à l’inanité de la vie quotidienne inauthentique sans s’apercevoir qu’il ne faisait que postuler une solution sans en fournir les éléments. En effet, il ne suffit pas de constater que la pratique des hommes s’engage dans des impasses et qu’ontologiquement il existe d’autres possibilités (le souci). Encore faudrait-il s’interroger, au-delà des réflexions abstraites à propos de l’être avec autrui sur les conditions de constitutions des pratiques sociales propres à la société bourgeoise. En d’autres termes n’aurait-il pas fallu se demander si les oppositions de l’action historique et de l’action inauthentique n’étaient pas elles-mêmes des produits des rapports sociaux de production, si le concret recherché au-delà du « cogito » dans les rapports de l’être-là avec le monde et autrui n’était pas aussi une résultante plutôt qu’une donnée première (au même titre d’ailleurs que la déréliction ou que la déchéance ?) Marx n’a-t-il pas montré que, dans le cadre du capitalisme les rapports sociaux ont la primauté sur des individus dissociés par les mécanismes de la socialisation et qu’on ne peut reconstruire l’édifice social à partir d’individus qui demandent eux aussi à être restructurés pour parvenir vraiment à l’individualité ? En outre le recours prioritaire à l’ontologie et à la réflexion sur l’existence ne comporte-t-il pas le danger de transformer les rapports sociaux de production et avec eux toutes les réalités objectives de la société (Etat politique, etc.) en pures et simples retombées de l’action et du travail, alors qu’il faudrait y voir des cristallisations sociales qui s’imposent aux hommes comme à leur action en fonction d’une force de coercition au-dessus des individus et des groupes ? En passant à côté de ses questions le jeune Marcuse ne faisait qu’inaugurer une longue série de marxismes protestataires qui, pour échapper aux griffes du dogmatisme et de la dégénération bureaucratique plongeront la théorie dans le pseudo-concret et la subjectivité.

Force est bien de constater que ces tentatives de rénovations du marxisme, inégales dans leurs développements et leurs points d’application, avaient en commun de ne pas mettre suffisamment en question le poids et le rôle attribués traditionnellement à la théorie. Dans les deux cas la théorie n’est plus considérée comme autonome ou comme le déploiement souverain de la conscience, mais on est en présence d’une théorie qui est trop immédiatement préoccupée par ses effets et son influence supposée sur la pratique politique. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la théorie marxiste indépendante souffre de n’être pas assez théorique, c’est-à-dire de ne pas assez se délimiter de ce qu’elle entend combattre le dogmatisme bureaucratique ou la théorie satisfaite d’elle-même. Elle ne conçoit pas le marxisme officiel comme la somme systématisée de ruptures d’abord partielles puis fondamentales avec la théorie révolutionnaire, mais comme un ensemble plus ou moins lâche de déviations plus ou moins contingentes. Elle n’est pas ainsi à même de comprendre l’efficace redoutable d’une théorie qui épouse les formes intellectuelles objectives de la vie sociale capitaliste et acquiert de cette façon une force et une cohérence qu’on ne lui accorderait à première vue. Elle n’est donc pas en mesure de voir dans le dogmatisme une expression du recul du mouvement révolutionnaire à l’échelle internationale et une forme spécifique d’adaptation théorique aux traits particuliers de cette retraite — prédominance capitaliste à l’échelle mondiale, mais consolidation d’un pouvoir bureaucratique non capitaliste en Union soviétique. En un mot les marxistes non conformistes restent aveugles devant le stalinisme, devant la théorisation du socialisme dans un seul pays et ses implications (le retour aux cloisonnements nationaux dans un monde de plus en plus marqué par l’interdépendance des processus économiques et sociaux), devant la nouvelle religion de l’Etat prônée à Moscou et devant une conception de plus en plus caporaliste du parti révolutionnaire répandue dans le mouvement communiste. Ils ne peuvent, par suite, disposer de critères sûrs pour distinguer ce qui est révolutionnaire de ce qui est contre-révolutionnaire, ce qui est fétichisation dans le travail théorique de ce qui est son renversement. Au bout du compte il est inévitable qu’on assiste à un retour en force de l’empirisme dans cette théorie marxiste, flottante et livrée à tous le contrecoups de la conjoncture dans la mesure où elle ne peut maîtriser l’évolution des pratiques et organiser véritablement une intervention susceptible de briser les automatismes de la reproduction sociale capitaliste. Les revers ou les insuccès entraînent très rapidement des corrections ou des rectifications plus ou moins bien fondées c’est-à-dire faites à partir de systèmes de coordonnées très limités. La théorie reste en ce sens réflexion sur la réalité, elle se confronte avec elle, ce qui signifie qu’elle se refuse à quitter son piedestal imaginaire pour reconnaître sa fonction politique — positive ou négative — dans la lutte des classes. Quoi qu’elle en ait, elle oscille entre l’encanaillement avec le praticisme et les vertus supposées du travail au-dessus des batailles les plus immédiates. Le joug de la division sociale du travail dont elle pensait se libérer, n’en devient qu’un peu plus lourd. Elle devient une sorte d’isolat social où l’on peut se permettre les commentaires les plus sarcastiques ou les plus désabusés sur la marche du monde, mais aussi un lieu où l’on rebâtit la société de façon idéale, où la dialectique procède par permutation et substitution de concepts sans se laisser arrêter par les obstacles, pour se laisser emporter ensuite par des sentiments de gratuité et de vacuité. On est en présence d’une théorie qui croit avoir pris ses distances avec la réalité fétichisée, mais qui, en réalité, ne fait que la redoubler dans la mesure où elle se refuse à introduire dans son domaine propre les questions « triviales » de la stratégie et de la tactique révolutionnaires, dans la mesure où elle restreint ainsi son propre champ d’action et l’horizon de ses problématiques. En oubliant de s’interroger théoriquement sur ce qui la fait se mouvoir elle-même et sur les barrières qu’elle doit rencontrer, elle n’est que théorie et ne peut se transformer en une pratique théorique qui commencerait à déverrouiller les pratiques sociales.

Cet échec relatif de la théorie marxiste, sa passivité devant l’évolution spontanée de la société et de la culture ne pouvaient pas ne pas démoraliser la majeure partie de l’intelligentsia de gauche, si pleine d’espoir lors des premiers mois de la révolution de novembre. La montée du nazisme est vécue par la plupart d’entre eux comme une fatalité ou, ce qui revient à peu près au même, comme une irruption massive de l’irrationnel, comme un cauchemar que seul un miracle empêchera de devenir réalité. Aussi, avant même que la défaite soit consommée, beaucoup se résignèrent-ils et commencèrent à se demander si la révolution prolétarienne était vraiment possible et s’il ne fallait pas totalement repenser les perspectives de l’évolution sociale. Autrement dit les secteurs les plus pessimistes de l’intelligentsia se persuadaient peu à peu que les défaites sanglantes du mouvement révolutionnaire après 1918 n’étaient pas dues à des faiblesses d’orientation et d’organisation du mouvement ouvrier allemand, mais à des raisons plus profondément structurelles (incapacité du prolétariat, indestructibilité d’un pouvoir moderne, etc.). On incriminait bien sûr la technologie ou plus précisément le développement d’une société technicienne en tendant par là la main à un existentialiste libéral comme Karl Jaspers qui, dans son livre La situation spirituelle de notre temps (Die geistige Situation der Zeit [14]) dénonçait avec véhémence l’ordre existentiel factuel (Daseinsordnung) en train de réduire les hommes à n’être que les fonctions d’un appareil tout-puissant d’organisation de la vie matérielle, et tout cela sans juger nécessaire de procéder à une analyse du capitalisme. Il ne restait plus alors qu’à se retrancher derrière les diverses figures de la protestation humaniste contre un monde de la fermeture et de la servitude. C’est dans et contre ce climat intellectuel pesant qui ne faisait que renforcer la montée sociale de la plus noire réaction que l’Ecole de Francfort dut se définir. Il lui fallait aborder les problèmes de l’unité, de la théorie et de la pratique dans une période marquée par la défaite du mouvement révolutionnaire en Europe, mais aussi par des signes récurrents de crise de l’ordre social capitaliste. En évitant les pièges opposés, mais complémentaires du dogmatisme et du praticisme, il lui fallait penser en même temps que la nécessité de la Révolution, son impossibilité temporaire (les raisons de son retard et les conditions de son retour à l’ordre du jour). La tâche était d’autant plus difficile que le marxisme dominant d’alors sous sa forme réformiste ou sous sa forme stalinienne obscurcissait la réflexion et déformait les perspectives selon lesquelles il aurait fallu considérer la Révolution d’Octobre et ses suites. Pour faire face à la contre-offensive idéologique de la bourgeoisie qui s’appuyait sur toutes les formes du désarroi et de la désillusion, il lui fallait en outre renouer avec la force originelle de la critique de l’économie politique, afin de retrouver un point d’ancrage solide pour résister victorieusement aux modes intellectuelles — reflets des mouvements spontanés de la société. Il ne pouvait guère y avoir d’entreprise plus difficile pour des intellectuels sans liens directs avec le mouvement ouvrier et l’Ecole de Francfort ne sut jamais l’assumer totalement, mais son échec, les apories dans lesquelles elle s’est peu à peu enfermée, en apprennent plus sur le marxisme authentique que des milliers de traités ou de commentaires des marxistes officiels. C’est en tout cas ce que ce livre voudrait montrer.


Source : exemplaire personnel





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aux écrits
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Jean-Marie
Vincent
(1934-2004)




[1Sur cette période, il faut consulter.
Pierre Broué, Révolution en Allemagne, 1917-1923, Paris, 1971. Hermann Weber, Die Wandlung des deutschen Kommunismus — Die Stalinisierung der K.P.D. in der Weimarer Republik, 2 volumes Frankfurt/Main, 1969. Ossip K. Flechtheim, Die K.P.D. in der Weimarer Republik, Offenbach, 1948.

[2Voir sur ce point Walter Bartel, Die Linken in der deutschen Sozialedemokratie im Kampf gegen Militarismus und Krieg, Berlin, 1958.

[3Cette confusion se reflète bien dans les débats de fondation du parti communiste. Voir à ce sujet Protokoll des Gründungs parteitages der Kommunistischen Partei Deutschlands 1918, Berlin, 1972.

[4Sur l’itinéraire de Karl Korsch, on peut consulter l’annuaire « Arbeiterbewegung. Theorie und Geschichte ». Jahrbuch I, « Über Karl Korsch », Frankfurt/Main, 1973.

[5Cf. K.H. Tjaden, Struktur und Funktion der « K.P. - Opposition » (K.P.O.) — Eine organisationssoziologische Unter suchung zur « Rechts » Opposition im deutschen Kommunismus zur Zeit der Weimarer Republik, Meisenheim am Glan, 1964.

[6Edition originale en 1934, édition revue et augmentée, Frankfurt/Main, 1962.

[7Voir à ce propos les remarques intéressantes de Helmut Dahmer dans Politische Orientierungen, Frankfurt/Main, 1973, et de Jean-Pierre Faye dans La critique du langage et son économie, éd. Galilée Paris, 1973.

[8Les contradictions de la politique du parti communiste apparaissent dans l’ouvrage pourtant apologétique de Lothar Ber thold, Das Programm der K.P.D. zur nationalen und sozialen Befreiung des deutschen Volkes vom August 1930, Berlin, 1956.

[9Voir son anti-Kautsky Die materialistische Geschichtsauffassung, nouvelle édition Frankfurt/Main, 1971.

[10Voir Das Akkumulations-und Zusammenbruschsgesetz des kapitalistischen Systems, Frankfurt/Main, 1970.
Ernest Mandel dans Der Spätkapitalismus a relevé un certain nombre d’erreurs dans la démonstrations de H. Grossmann, en particulier dans l’utilisation des schémas de la reproduction élargie repris à Otto Bauer (hypothèse d’un taux de profit et d’un taux de plus-value identiques entre les deux secteurs d’accumulation — biens de production et biens de consommation). Il peut ainsi montrer que les conclusions de H. Grossmann - insuffisance de la production de plus-value pour satisfaire aux exigences de consommation des capitalistes et pour continuer l’accumulation — ne pouvaient pas être retenues telles quelles. Ces observations, à notre avis pertinentes, n’enlèvent toutefois rien à l’intérêt qu’on peut trouver à l’oeuvre de Grossmann.
Cf. Ernest Mandel, Der Spätkapitalismus, Frankfurt/Main, 1972.

[11Voir l’ensemble de documents réunis par H.-P. Gente, Marxismus Psychoanalyse Sexpol, Frankfurt/Main, 1970.

[12Parmi la très nombreuse littérature sur Brecht, on peut consulter Marianne Kesting, Bertolt Brecht, Hamburg, 1959. Paolo Chiarini, Bertolt Brecht, Bari, 1959.

[13Maintenant dans le recueil Herbert Marcuse, Alfred Schmidt, Existenzialistische Marx-Interpretation, Frankfurt/Main 1973.

[14Cf. Karl Jaspers, Die geistige Situation der Zeit, 1931, nouvelle édition, Berlin, 1955.