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Rosa Luxembourg, "L’introduction du capitalisme en Algérie"

Tribune Marxiste

[Traduction sous le pseudonyme de Vincent Valette] - n° 2, p. 55-59, février 1958


Document inédit en France [1]
(Traduction de V. Valette)



A côté des Indes Britanniques, l’Algérie sous la domination française mérite une place d’honneur dans les annales de la colonisation capitaliste. Lorsque les Français conquirent l’Algérie les anciennes institutions économiques et sociales prévalaient parmi la population arabe et kabyle. Elles ont été préservées jusqu’au XIXe siècle et, en dépit de la longue et turbulente histoire du pays, elles survivent en partie encore à ce jour.
La propriété privée pouvait bien exister, sans doute, parmi les maures et les juifs, parmi les marchands, les artisans et les usuriers dans les villes, de larges zones agricoles avaient bien été saisies par l’Etat sous souveraineté turque, il n’en restait pas moins que la moitié des terres productives était tenue conjointement par les tribus arabes et kabyles, qui conservaient toujours les anciennes coutumes patriarcales. Beaucoup de familles arabes menaient au XIXe siècle la même vie nomade qu’elles menaient depuis des temps immémoriaux et que seuls des observateurs superficiels peuvent trouver agitée et irrégulière, car, en fait, elle est strictement réglée et extrêmement monotone. En été ils avaient l’habitude, hommes, femmes et enfants, de prendre leurs troupeaux et leurs tentes et d’émigrer vers les rivages battus par la mer de la région du Tell ; en hiver ils repartaient vers la chaleur protectrice du désert. Ils voyageaient en empruntant des routes bien définies et les lieux de campement d’été et d’hiver étaient fixés pour chaque tribu et pour chaque famille. Les champs des arabes devenus sédentaires étaient, dans la plupart des cas, propriété des clans et les grandes associations familiales kabyles vivaient aussi suivant les vieilles règles traditionnelles sous la conduite patriarcale de leurs chefs élus.
Les femmes se chargeaient à tour de rôle des soins du foyer ; une mère de famille, élue elle aussi par la famille, ayant la charge entière des affaires domestiques du clan ; ou bien les femmes du clan prenant l’une après l’autre soin du foyer.
Cette organisation des clans kabyles sur la bordure du désert africain a une ressemblance saisissante avec celle de la « zadruga » des Slaves du Sud. Outre les champs, tous les outils et les armes, tout ce que les membres de la communauté produisaient et tout ce dont ils avaient besoin dans leur travail, était la propriété commune du clan. La propriété personnelle était réduite à un ensemble de vêtements, et pour les femmes aux vêtements et aux bibelots de leur dot. Les atours plus précieux et les bijoux étaient cependant propriété commune et les individus ne pouvaient s’en servir que si la famille entière le permettait. Si le clan n’était pas trop nombreux les repas étaient pris en commun, les femmes cuisinant à tour de rôle et les plus âgées assurant le service. Quand un cercle familial était trop large, le chef distribuait chaque mois des quantités rigoureusement mesurées de nourriture aux familles individuelles, qui les préparaient ensuite. Ces communautés étaient liées entre elles par des liens étroits de parenté, d’assistance mutuelle et d’égalité et un patriarche sur son lit de mort implorait ses fils de rester fidèles à la famille.

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Ces relations sociales avaient déjà était sérieusement altérées par la domination turque, établie en Algérie au XIVe siècle. Pourtant, le conquérant turc n’avait nullement confisqué toutes les terres. C’est une légende inventée par les Français à une date beaucoup plus tardive. En effet, seul un esprit européen est capable d’une invention aussi fantaisiste qui est contraire au fondement économique de l’Islam à la fois en théorie et en pratique.
En vérité, les faits sont tout à fait différents. Les Turcs ne touchèrent pas aux champs des communautés villageoises. Ils confisquèrent simplement une grande part des terres non cultivées par les clans et les convertirent en terres de la couronne sous la surveillance d’administrateurs turcs locaux (beyliks). L’Etat faisait travailler ces terres par des indigènes ou bien les affermait contre une rente ou contre paiement en nature. Ultérieurement, les Turcs prétextèrent la moindre révolte des familles soumises et le moindre désordre dans le pays pour agrandir leurs possessions par des confiscations sur une large échelle, soit pour des établissements militaires, soit pour des ventes aux enchères publiques, où les terres tombaient entre les mains des Turcs et autres usuriers. Pour échapper au fardeau de la taxation ou de la confiscation, beaucoup de paysans se placèrent sous la protection de l’Eglise, comme ils l’avaient fait dans l’Allemagne médiévale. Par suite, des superficies considérables devinrent des propriétés d’Eglise. Tous ces changements aboutirent finalement à la répartition suivante à l’époque de la conquête française : les terres de la couronne occupaient environ un million cinq cent mille hectares et trois millions d’hectares de terre non cultivée étaient la propriété commune de « tous les Croyants » (Bled el-Islam).
Trois millions d’hectares étaient la propriété privée des Berbères depuis l’époque romaine, et, sous la domination turque, un million cinq cent mille hectares était en outre devenu propriété privée, cinq millions d’hectares restant propriété communautaire de clans arabes. Dans le Sahara quelques trois millions d’hectares de terre fertile près des oasis sahariens étaient possédés en commun par les clans, avec, à côté, quelques propriétés privées. Les 23.000.000 d’hectares restant étaient principalement des terres incultes.

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Au moment de la conquête de l’Algérie, les Français firent beaucoup de bruit sur leur oeuvre civilisatrice, car le pays, s’étant débarrassé du joug turc au commencement du XVIIIe siècle, était devenu le refuge des pirates qui infestaient la Méditerranée et faisaient le trafic des esclaves chrétiens. L’Espagne et les Etats-Unis d’Amérique en particulier, eux-mêmes trafiquants d’esclaves à l’époque, déclarèrent une guerre implacable à cette iniquité musulmane. C’est au moment des douleurs de l’enfantement de la Grande Révolution que la France proclama une croisade contre l’anarchie algérienne. La soumission du pays se fit au nom du « Combat contre l’esclavage », pour « l’institution d’un ordre civilisé ». Néanmoins, la pratique devait bientôt montrer ce qu’il y avait au fond de tout cela. On sait généralement que dans les quarante années qui suivirent la soumission de l’Algérie aucun Etat européen ne connu autant de changements dans son système politique que la France ; la restauration de la monarchie fut suivie par la Révolution de Juillet et le règne du « Roi citoyen » ; celui-ci par la Révolution de Février, la Seconde République, le Second Empire, et, finalement, après le désastre de 1870, par la Troisième République. Tour à tour, l’aristocratie, la haute finance, la petite bourgeoisie et les classes moyennes en général obtinrent la prédominance politique. Cependant, la politique française en Algérie ne fut pas touchée par cette succession d’événements : elle poursuivit un seul but du commencement jusqu’à la fin : sur la lisière du désert africain elle démontrait pleinement que toutes les révolutions politiques dans la France du XIXe siècle convergeaient vers un intérêt fondamental simple : la domination d’une bourgeoisie capitaliste et la défense de ses institutions.
« La loi soumise à votre intention », disait le 30 juin 1873 au cours d’une session de l’Assemblée nationale française le député Humbert, porte-parole de la Commission pour le règlement des problèmes agricoles en Algérie, « est seulement le couronnement d’un édifice fondé sur toute une série d’ordonnances, d’édits, de lois et de décrets du Sénat qui, ensemble et respectivement, ont le même objet : l’établissement de la propriété privée chez les arabes ».
En dépit des hauts et des bas de la vie politique française, la politique coloniale française persévéra plus de quarante ans dans ses efforts systématiques et délibérés pour détruire la propriété collective. Elle avait deux buts distincts. L’anéantissement de la propriété collective était primitivement destinée à écraser la puissance sociale des associations familiales arabes et à étouffer leur résistance opiniâtre contre le joug français, contre lequel il y avait de nombreux soulèvements ; si bien, qu’en dépit de la supériorité militaire de la France, le pays était continuellement en état de guerre.
Deuxièmement, il fallait détruire la propriété collective pour assurer économiquement la conquête : ce qui voulait dire qu’il fallait déposséder les arabes de terres qui étaient à eux depuis un millier d’années, pour que les capitalistes français puissent se les approprier.
Une fois de plus, cette légende que nous connaissons si bien, selon laquelle d’après la loi musulmane toute la terre appartient au gouvernement, réapparut. Comme les Anglais l’avaient fait aux Indes, les gouverneurs de Louis-Philippe en Algérie déclarèrent que la propriété collective des clans était « impossible ». Cette fiction servait d’excuse pour attribuer à l’Etat la plus grande partie des superficies non cultivées, spécialement les bois et les prairies et pour s’en servir suivant les buts de la colonisation.
Un système complet de colonisation se développe (les « cantonnements »), qui établissait des colons français sur les terres des clans et parquait les tribus sur d’étroites superficies. Par les décrets de 1830, 1831, 1840, 1844, 1845 et 1846 ces vols des terres des familles arabes furent légalisés. Pourtant, ce système ne favorisa pas vraiment la colonisation : il engendra seulement une usure et une spéculation effrénées. Dans la plupart des cas, les arabes s’arrangeaient pour racheter les terres qui leur avaient été prises, malgré le lourd endettement consécutif. Les accablantes méthodes de taxation des Français avaient la même tendance, en particulier la loi du 16 juin 1851, proclamant les forêts propriété d’Etat, ce qui enlevait aux indigènes deux millions quatre cent mille hectares de pâturages et de maquis et sapait les bases de l’élevage. Toutes ces lois, ordonnances et règlements ; bouleversèrent complètement la structure de la propriété dans le pays. Dans l’atmosphère de spéculation fiévreuse qui prévalait alors dans le pays, de nombreux indigènes vendaient leurs domaines aux Français dans l’espoir de les recouvrer ultérieurement. Très souvent ils vendaient le même bout de terrain à deux ou trois acheteurs à la fois, et qui plus est, c’était souvent une terre familiale inaliénable qui ne leur appartenait pas. Une compagnie de spéculateurs de Rouen croyait qu’elle avait acheté 20.000 hectares, mais en fait elle avait seulement acquis un titre disputé sur 1.370 hectares. Il s’en suivit un nombre infini de procès au cours desquels les tribunaux français soutenaient par principe les demandes des acheteurs. Dans ces conditions incertaines, la spéculation, l’usure et l’anarchie se répandaient. Bien que l’introduction de colons français en grand nombre parmi la population arabe ait eu pour but de soutenir les efforts du gouvernement français, ce plan échoua misérablement.

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Aussi, sous le Second Empire, on essaya une autre ligne de conduite. Le gouvernement, avec son manque de discernement européen, avait opiniâtrement nié l’existence de la propriété collective pendant trente ans, mais il finit par apprendre quelque chose. Par un simple trait de plume, la propriété collective familiale était officiellement reconnue et condamnée à être supprimée. C’est la double signification du décret du Sénat daté du 22 avril 1864. Le général Allard déclarait au Sénat : « Le gouvernement ne doit pas perdre de vue le fait que le but général de sa politique est d’affaiblir l’influence des chefs de tribus et de dissoudre les associations familiales. C’est par ces moyens qu’il balaiera les derniers restes de féodalisme (sic) défendu par les opposant au projet gouvernemental... La plus sûre méthode pour accélérer le processus de désintégration des associations familiales est d’instituer la propriété privée et d’établir des colons européens parmi les familles arabes. »
La loi de 1863 créa des commission spéciales pour partager les terres, qui étaient composées d’un président, général ou colonel, d’un sous-préfet, d’un représentant des bureaux arabes et d’un fonctionnaire des finances. Ces experts « naturels » des conditions économiques et sociales africaines se trouvaient devant la triple tåche, premièrement de déterminer les limites des domaines familiaux, deuxièmement de distribuer les domaines de chaque clan parmi ses nombreuses branches, et finalement de diviser ces domaines en lots séparés et privés. Cette expédition de brigandage dans l’intérieur de l’Afrique s’effectua comme prévu. Les commissions se mirent au travail. Elles étaient à la fois juges pour les litiges, arpenteurs géomètres et distributeurs de terres ; les décisions en deuxième instance appartenant au gouvernement général de l’Algérie. Dix années de vaillants efforts des commissions se réduisirent au résultat suivant : entre 1863 et 1873 sur 700 domaines héréditaires, 400 furent partagés entre les branches des clans, les fondements des inégalités futures entre grands domaines fonciers et petites parcelles se trouvant ainsi posés. Une famille, en fait, pouvait recevoir entre un hectare et quatre hectares, pendant qu’une autre recevait plus de cent hectares ou même cent quatre-vingt hectares, suivant la grandeur des biens du clan et le nombre de ses collatéraux. Le morcellement, cependant, n’alla pas plus loin. Les coutumes arabes présentaient des difficultés insurmontables à une division plus complète des terres familiales. En dépit des colonels et des généraux, cette politique avait de nouveau échoué en voulant créer la propriété privée pour la transférer aux Français.
Mais la Troisième République, un régime bourgeois non déguisé, eut le courage et le cynisme d’aller droit au but et d’attaquer le problème par l’autre bout, dédaignant les préliminaires du Second Empire. En 1873 l’Assemblée Nationale élabora une loi dont l’intention avouée était de diviser immédiatement les domaines des 700 clans arabes et d’instituer par la force dans les délais les plus courts la propriété privée. La situation désespérée de la colonie servit de prétexte à cette mesure. Il avait fallu la grande famine de 1866 aux Indes pour attirer l’attention du public britannique sur les exploits merveilleux de la politique coloniale britannique et provoquer une enquête parlementaire, de la même façon, l’Europe fut alarmée à la fin des années 60 par l’état pitoyable de l’Algérie où plus de quarante années de domination française culminèrent dans une famine généralisée et un taux de mortalité désastreux chez les arabes. Une commission d’enquête fut établie pour recommander une nouvelle législation qui puisse aider les arabes : il fut unanimement décidé qu’il y avait une seule planche de salut pour ceux-ci : l’instauration de la propriété privée ; que seule elle pouvait sauver les arabes de l’indigence, puisqu’ainsi ils auraient la possibilité de vendre et d’hypothéquer leurs terres. Il fut décidé par conséquent que la seule façon d’alléger la détresse des arabes, lourdement endettés par suite des vols de terres effectués par les Français et par suite de l’accablante taxation qu’ils imposaient, était de les livrer complètement aux mains des usuriers. Cette farce fut exposée très sérieusement à l’Assemblée Nationale et acceptée avec une égale gravité par ce digne corps. Ceux qui avaient vaincu la Commune de Paris étalaient leur impudence.
A l’Assemblée Nationale deux arguments, en particulier, furent avancés par les défenseurs de la nouvelle loi : ceux qui étaient partisans de la loi insistaient tant et plus sur le fait que les arabes eux-mêmes demandaient de façon pressante l’introduction de la propriété privée. Et il en était bien ainsi, ou plutôt il en était ainsi pour les spéculateurs et les usuriers algériens, depuis qu’ils avaient un intérêt vital à « libérer leurs victimes de la protection des liens familiaux. Aussi longtemps que la loi musulmane prévalait en Algérie, les biens héréditaires des clans et des familles étaient inaliénables, ce qui causait de très grandes difficultés à celui qui voulait hypothéquer les terres qu’ils cultivaient. La loi de 1863 avait seulement fait une brèche dans ces obstacles et l’enjeu à ce moment était leur complète destruction pour laisser les mains libres aux usuriers.
Le second argument était « scientifique », partie de cet équipement intellectuel que James Mill a utilisé pour ses abstruses conclusions sur les relations de propriété aux Indes : l’économie politique anglaise classique. Parfaitement versé dans les enseignements de leurs maîtres, les disciples de Smith et Ricardo affirmèrent péremptoirement que la propriété privée était indispensable pour prévenir les famines en Algérie, pour une agriculture intensive et plus rationnelle, car personne évidemment ne serait prêt à travailler intensivement une terre ou à y mettre du capital, si elle ne lui appartenait pas et s’il ne pouvait jouir de ce qu’elle produit. Mais les faits parlaient un langage différent, ils prouvaient que les spéculateurs français employaient la propriété privée créée par eux, à tout, sauf à l’amélioration du sol et à sa culture intensive. En 1873, 400.000 hectares étaient propriétés françaises. Mais les compagnies capitalistes, la Compagnie Algérienne et la Compagnie de Sétif, qui possédaient 120.000 hectares, ne cultivaient pas ses terres, mais les louaient à des indigènes qui les cultivaient à la manière traditionnelle ; il n’y avait pas plus de 25 % des propriétaires français engagés dans l’agriculture. Il était tout simplement impossible de combiner les investissements capitalistes et l’agriculture intensive du jour au lendemain, de même qu’il est impossible de créer les conditions du capitalisme à partir de rien. Elles existaient seulement dans l’imagination des spéculateurs français à la recherche du profit et dans les visions doctrinaires embrumées de leurs économistes scientifiques. Le point essentiel, abstraction faite de tous les prétextes et fioritures destinés à justifier la loi de 1873, était simplement le désir de priver les arabes de leurs terres, de leurs moyens de subsistance. Et, bien que ces arguments aient été usés jusqu’à la corde et, évidemment, non sincères, cette loi, qui allait coûter la prospérité matérielle à la population algérienne, fut votée à l’unanimité le 26 juillet 1873.
Mais même ce coup de maître échoua. La politique de la Troisième République avorta à vouloir substituer d’un seul coup la propriété privée à l’ancien communisme du clan, exactement comme la politique du Second Empire. En 1890, alors que la loi du 26 juillet 1873, augmentée par la loi du 28 avril 1887, était en vigueur depuis dix-sept ans, on avait dépensé quatorze millions de francs pour distribuer seize millions d’hectares, on estimait que le processus ne serait pas terminé avant 1950 et nécessiterait encore 60 millions de francs. L’abolition du communisme n’avait toujours pas été atteinte. Mais ce à quoi on était arrivé était trop évident : spéculation insouciante sur les terres, usure en pleine prospérité et ruine économique des indigènes.
Puisqu’il était impossible d’instituer, la propriété privée par la force, on entreprit une nouvelle expérience. Les lois de 1873 et de 1879 furent condamnées par une commission nommée pour leur révision par le gouvernement général en 1890.
Il fallut attendre encore sept ans avant que les législateurs des bords de la Seine fassent l’effort d’examiner des réformes pour le pays ruiné. La nouvelle loi se gardait, en principe, de vouloir instituer la propriété privée par la contrainte ou par des mesures administratives. La loi du 2 février 1897 et l’édit du gouverneur général de l’Algérie du 3 mars 1898 stipulaient tous les deux essentiellement pour l’introduction de la propriété privée une démarche volontaire de l’acquéreur ou du possesseur. Mais il y avait des clauses qui permettaient à un seul des possesseurs d’une terre collective de revendiquer la propriété privée sans le consentement des autres ; plus tard cette « démarche » volontaire put être extorquée à n’importe quel moment pour peu que le possesseur fut endetté et que les usuriers fissent pression. Ainsi la nouvelle loi laissait les portes ouvertes aux capitalistes français et indigènes pour s’approprier et exploiter les terres collectives.
Ces dernières années, cette mutilation de l’Algérie, qui se poursuit depuis huit décennies, rencontre même moins d’opposition, car les arabes, encerclés par le capital français à la suite de la soumission de la Tunisie (1881) et de la récente conquête du Maroc, sont de plus en plus impuissants. Le résultat le plus récent du régime français en Algérie est un exode arabe vers la Turquie.
Le 20 juin 1912, Monsieur Albin Rozet, au nom de la commission de Réforme de « l’indigénat » (justice administrative), affirmait dans son discours à la Chambre des députés que des milliers d’Algériens étaient en train d’émigrer de la région de Sétif, et que 1.200 indigènes avaient quitté Tlemcen l’année passée à destination de la Syrie. Un émigrant écrivait de sa nouvelle patrie : « Je suis maintenant établi à Damas et suis parfaitement heureux. Il y a beaucoup d’Algériens en Syrie qui ont émigré comme moi. Le gouvernement nous a donné des terres avec des facilités pour les cultiver. » Le gouvernement général combat cette exode... en refusant leur passeport aux candidats émigrants. (Cf. Journal officiel 21 juin 1912, paĝe 1.594.)


Source : exemplaire personnel





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(1934-2004)




[1Extrait du chapitre XXVII de l’Accumulation du Capital, écrit en 1912