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Du Golfe à l’atlantisme

Futur antérieur

n° 6, p. 7-8, juin 1991




La guerre du Golfe, une guerre du droit ? Quelques mois après sa fin officielle, il devient de plus en plus difficile de défendre pareille thèse. Elle n’a certainement pas été une guerre pour les droits de l’homme, au vu de la chasse au Palestinien et à l’étranger qui s’est déroulée au Koweït, au vu de la guerre menée contre les opposants à Sadam Hussein (des Kurdes aux chiites), au vu du traitement réservé par les autorités israéliennes aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. Les droits de l’homme ne se portent pas mieux qu’avant la guerre, au contraire ils se portent plus mal dans cette partie du monde. Alors, une guerre pour le droit international ? Quelle dérision ! Les moyens employés pour restaurer la souveraineté du Koweit ont été si violents, si massivement destructeurs qu’ils se sont trouvés en contradiction avec un principe fondamental de la charte de l’ONU : ne pas employer de moyens disproportionnés par report à l’objet recherché. Pour autant, la guerre aurait-elle fait avancer la concertation des Etats de la région et la recherche de solutions négociées aux conflits qui rongent le Moyen-Orient ? U n’en est évidemment rien. Il n’est plus question aujourd’hui de conférence internationale sur le Moyen-Orient. Les deux puissances dominantes dans la région, les Etats-Unis et Israël, font miroiter la perspective d’une conférence régionale, mais il n’est pas envisagé d’y faire participer les Palestiniens et l’on ne sait pas pour le moment si les objectifs et les orientations de la conférence seront acceptables pour les Etats arabes.
Quel que soit le sort final du projet de conférence régionale, il apparaît bien que les Etats-Unis ne se trouvent face à aucune opposition sérieuse, si ce n’est l’opposition israélienne à tout bouleversement du “statu quo”. Dans un tel cadre, il ne peut donc y avoir de marche vers un nouvel ordre régional, c’est-à-dire vers des rapports plus équilibrés entre les Etats, moins marqués par l’affirmation brutale de rapports de force. Le gouvernement américain agit en fait de façon impériale et prétend dire lui-même le droit international et l’appliquer ensuite en sollicitant l’appui complice de ses alliés. Parler dans ces conditions de nouvel ordre international relève de la plaisanterie, d’une très mauvaise plaisanterie. En réalité, on est en présence d’un très vieil ordre international, celui des traités inégaux, du chantage à la force, celui du refus obstiné de prendre en compte les problèmes des plus faibles.
La guerre du Golfe apparaît ainsi sous une lumière très crue. Au-delà du Koweït, elle est la réaffirmation de vieilles relations impériales, celles qui se concrétisent par l’endettement des pays du “Tiers-Monde”, par les "conseils” éclairés et avisés du FMI, par les conciliabules et les décisions des sept plus grandes puissances économiques sous l’égide de Washington. Dans ce contexte, les discussions actuelles sur la sécurité et la défense de l’Europe des douze prennent une résonance particulière. Faut-il ou non aménager et élargir le cadre atlantique (OTAN) ? Ou faut-il au contraire réactiver l’Union de l’Europe occidentale et en même temps transformer la CSCE ? Le débat n’a rien d’académique et il n a rien à voir non plus avec une opposition simpliste entre proaméricanisme et anti-américanisme, il a tout à voir avec cette question fondamentale : l’Europe va-t-elle chercher à entretenir de nouveaux rapports avec le Sud et l’Est ? Une défense européenne autonome, dégagée de l’atlantisme et ouverte à la création de zones démilitarisées serait, en tout cas, une étape dans cette direction.





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(1934-2004)