site consacré aux écrits de Jean-Marie Vincent

Vers une théorie marxiste du droit moderne

Les Temps modernes

n° 219-220, p. 552-576, août septembre 1964




Déjà en 1909, dans sa préface [1] au Capital financier, une des œuvres les plus importantes de l’économie politique marxiste, Rudolf Hilferding notait le retard des recherches scientifiques inspirées par le marxisme. Aujourd’hui ce retard est encore plus considérable, mais on ne peut plus l’imputer, comme le faisait Hilferding, à l’absence de moyens matériels et de temps. Ce n’est plus un retard dans l’utilisation et la critique du matériel empirique rassemblé, mais un véritable piétinement de la théorie qui finit par vivre sur elle-même et par elle-même comme une conceptualisation absolue, perdant ainsi sa fonction d’anticipation et de déchiffrement de la réalité. Il n’y a pas seulement arrêt, il y a crise du marxisme dans la mesure où l’unité de la théorie et de la pratique est rompue, dans la mesure où la théorie devient système et la pratique pragmatisme conservateur. C’est pourquoi il faut se garder de croire que l’on peut dépasser la déformation stalinienne du marxisme en rejetant ses aspects moralement les plus choquants. Le stalinisme, c’est, au-delà du culte de la personnalité et des crimes de Staline, une forme de fausse conscience, un mode mystifié d’insertion dans la dialectique des forces sociales. Lukàcs a pu le définir comme un idéalisme volontariste, c’est- à-dire comme un sorte de système théologico-politique justifiant une pratique conservatrice qui fait violence au mouvement spontané de la réalité sociale. On a pu aussi le définir comme un néoplatonisme (Galvano della Volpe), c’est-à-dire comme un ontologisme dans lequel la pratique sociale de l’humanité est l’émanation d’une Nature extra-humaine et asociale, d’une substance au sens spinoziste du terme.
Ce curieux mélange d’idéalisme et de matérialisme vulgaire, qui traduisait l’enlisement du mouvement révolutionnaire après sa première grande victoire en octobre 1917, aboutissait dans les dernières formulations de Staline à un véritable renversement de la dialectique marxiste des infrastructures et des superstructures, très précisément à une divinisation de la superstructure étatique, transformée en démiurge tout-puissant, en créateur et en but des rapports sociaux. Les difficultés du mouvement révolutionnaire devenaient la fin de l’Histoire réduite à l’affrontement de l’U.R.S.S. et du monde capitaliste, affrontement médiatisé par les intérêts de la bureaucratie stalinienne. Comme le remarque Isaac Deutscher [2] : « La conception qu’avait Staline d’un parti monolithique était l’effrayante utopie, le rêve coloré d’un autocrate redoutant à mourir toute dissension, ou déviation, et se dressant en imagination au-dessus des réalités de l’histoire et de la société. Il ne parvint à éliminer les contradictions au sein du mouvement communiste qu’en supprimant le mouvement lui-même, en y annihilant toute sa vie et en le réduisant à un « appareil ». »

Le problème du dépassement de la pétrification stalinienne du marxisme, y compris au niveau d’abstraction le plus élevé, est moins que jamais une question académique. Sa solution conditionne pour une large part le rythme du développement de l’action des masses contre le capitalisme et même, en un certain sens, la survie de l’humanité. La pratique sociale doit retrouver son caractère signifiant et formateur, la théorie sa fonction de synthèse et de projection si l’on ne veut pas que les rapports sociaux réifiés et ossifiés opposent une opacité impénétrable à la recherche d’un au-delà de la société actuelle. Il s’agit de revenir à l’unité de la théorie et de la pratique en procédant à un double mouvement de récupération de la théorie originale de Marx et de confrontation de celle-ci avec les problèmes contemporains, pour rendre au marxisme sa véritable dimension de conscience et de guide de la société en action et en développement, de compréhension des contradictions matérielles et permanentes de la société bourgeoise sur son déclin. Cette démarche renonce au savoir pseudo-absolu et pseudo-définitif du marxisme codifié pour retrouver la conceptualisation critique basée sur un va-et-vient incessant entre hypothèse et expérimentation du marxisme des thèses sur Feuerbach.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, eu égard au scientisme du marxisme stalinisé, c’est donc vers une réhabilitation de l’esprit scientifique que doivent tendre les efforts de rénovation du marxisme. Le subjectivisme et l’objectivisme inhérents à l’idéalisme stalinien ne peuvent être effectivement surmontés que par une dialectique scientifique qui se refuse à réduire l’unité du sujet et de l’objet dans la pratique sociale à une identité préconçue. Dans chaque domaine les fausses certitudes qui alimentent le scepticisme et le révisionnisme au sens vrai du terme doivent faire place à un corps d’élaborations rationnelles soumises à vérification. La théorie marxiste n’est pas réductible à la conscience du prolétariat en action ; impossible sans celle-ci, elle la transcende sous sa forme immédiate pour se constituer en pointe avancée du mouvement de réflexion de la société sur elle-même. Certes, comme l’a fait remarquer Lukàcs dans Histoire et conscience de classe, l’investigation scientifique est rendue difficile par les antinomies de la pensée bourgeoise, par la réification des rapports sociaux, par la force sans cesse croissante des tendances au positivisme. Mais le marxisme en tant qu’historisme critique se dégage tendanciellement des entraves et des limites qu’impose la société actuelle à la pensée, et il ne conserve de valeur en tant qu’instrument de transformation du monde que s’il approfondit et développe sa connaissance critique des rapports sociaux capitalistes. En d’autres termes, c’est dans la mesure où il s’attaque aux préjugés, aux conceptions acritiques, apologétiques (directes ou indirectes) qu’il reste fidèle à sa fin et adéquat à son objet. La pensée marxiste n’est pas une conception du monde donnée une fois pour toutes à ceux qui sont touchés par la grâce prolétarienne : elle s’oppose à toute révélation et n’est rien d’autre qu’une quête sans cesse élargie des conditions de libération de l’homme vivant dans la société capitaliste.

Il s’ensuit logiquement que le renouvellement du marxisme ne peut s’opérer par une simple épuration des scories les plus voyantes du dogmatisme stalinien ou encore par l’adjonction éclectique des résultats du positivisme bourgeois au vieil ensemble doctrinal. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit tout au plus d’une adaptation empirique, sans perspectives, qui prépare très souvent l’abandon de toute conception révolutionnaire. Le renouvellement doit toucher la théorie dans ses aspects essentiels et lui faire retrouver sa liaison intime avec la pratique révolutionnaire. C’est dans ce sens que va la tentative récente du théoricien communiste italien Umberto Cerroni [3] cherchant à construire une théorie marxiste du droit moderne.

Au point de départ de sa recherche il y a un travail serré de reconstruction de l’itinéraire intellectuel de Marx, « de la critique de l’apriorisme spéculatif de Hegel à la réduction méthodologique de la problématique philosophique et politico-juridique », dont le but est de dégager l’œuvre de Marx de toutes les interprétations qui en obscurcissent la portée révolutionnaire. Pour Cerroni, le renversement matérialiste de la dialectique hégélienne opéré par Marx ne peut se comprendre comme une inversion de signes : la matière à la place de l’esprit ou du concept. Le monisme marxiste est selon lui exempt de tout aspect métaphysique ou ontologique : il se refuse à la réduction subjectiviste de l’objet et à la réduction objectiviste du sujet. Il se base sur l’unité (non l’identité) des opposés ou distincts, médiatisée par la pratique sociale. Sujet et objet sont dans une relation de fonctionnalité réciproque ; la matière, c’est-à-dire l’ensemble des rapports de l’homme social avec la nature, est une variable indépendante pour la conscience humaine, mais l’activité sensible et pratique (par définition consciente) des hommes, modifie les circonstances et l’état donné des rapports entre l’humanité et la nature. Le matérialisme de Marx n’a en somme rien à voir avec une quelconque primauté métaphysique de la substance matière, il tient compte de l’irréductibilité à la conscience de la pratique humaine et de ses rapports au monde extérieur. Citons à l’appui de cette conception un texte de Marx parmi tant d’autres [4] :

« Il n’est pas nécessaire d’ajouter que les hommes ne sont pas libres arbitres de leurs forces productives — qui sont la base de toute leur histoire — car toute force productive est une force acquise, le produit d’une activité antérieure. Ainsi les forces productives sont le résultat de l’énergie pratique des hommes, mais cette énergie elle-même est circonscrite par les conditions dans lesquelles les hommes se trouvent placés, par les forces productives déjà acquises, par la forme sociale qui existe avant eux, qu’ils ne créent pas, qui est le produit de la génération antérieure, qui servent à elle comme matière première de nouvelle production. Il se forme une connexité dans l’histoire des hommes, il se forme une histoire de l’humanité qui est d’autant plus l’histoire de l’humanité que les forces productives des hommes et en conséquence leurs rapports sociaux ont grandi. Conséquence nécessaire : l’histoire sociale des hommes n’est jamais que l’histoire de leur développement individuel, soit qu’ils en aient la conscience, soit qu’ils ne l’aient pas. Leurs rapports matériels forment la base de tous leurs rapports. Ces rapports matériels ne sont que les formes nécessaires dans lesquelles leur activité matérielle et individuelle se réalise. »

Le problème de la connaissance devient dans cette perspective un problème éminemment concret, puisqu’il est intimement lié aux rapports de production et aux forces productives, c’est-à-dire aux échanges de l’homme vivant en société avec la nature. La connaissance est connaissance de la pratique, des conditions d’objectivation et d’activité de l’homme social : rien de plus et rien de moins. Elle n’est, par suite, pas assimilable à la mise au point de concepts généraux et abstraits comme le pensait la tradition idéaliste (ou matérialiste vulgaire) les concepts les plus généraux étant essentiellement négatifs (éléments communs à plusieurs phénomènes). La véritable connaissance ou théorie au sens marxiste du terme est recherche de l’universel concret et du particulier, ou encore de l’abstrait déterminé pour reprendre les termes de Galvano della Volpe ou de Lucio Colletti [5]. Elle est à la fois abstraction, c’est-à-dire mise en relation des phénomènes, et détermination, c’est-à-dire reconnaissance de l’objet dans sa singularité ; elle comprend les opposés, tout en les sachant hétérogènes et indissolubles, par un simple décret de la raison. L’objet dégagé par la pratique échappe à l’arbitraire de l’entendement, il se présente comme qualité et résistance de la matière, et la totalité idéale ne s’intégre à une totalité réelle que si elle se conçoit comme dépendante d’un réel extra-mental.

Aussi bien est-il faux du point de vue méthodologique de donner la priorité à l’induction sur la déduction. L’induction sans le complément de la déduction n’est qu’un processus d’abstraction croissante incontrôlé, tout comme la déduction sans le correctif de l’induction n’est que circularité sans contenu [6]. Il y a réciprocité et complémentarité de l’induction et de la déduction, de l’analyse et de la synthèse parce que la connaissance va de l’empirique indifférencié à l’abstrait déterminé, et non du concret à l’abstrait comme le veulent la tradition idéaliste et la tradition positiviste.

Connaître, c’est en définitive découvrir la genèse de la pratique, le développement des rapports entre le sujet et l’objet, la formation des relations fonctionnelles entre conscience et matérialité en reliant le particulier au particulier. La théorie scientifique est en même temps histoire et l’abstraction déterminée abstraction historique qui se refuse à concevoir l’objet par le biais unique de l’intuition sensible. C’est dire que la théorie marxiste s’oppose à tout pluralisme ou électisme méthodologique, dont le fondement est la renonciation à la causalité génétique et à la recherche des enchaînements significatifs. En tant que théorie scientifique et historique, sans se laisser hypnotiser par les conceptions courantes de la causalité dans les sciences de la nature, le marxisme essaye de mettre à jour les chaînes d’interaction qui expliquent un complexe objectif, ou pour reprendre le langage de Max Weber en le dépouillant de sa subjectivité, la causalité adéquate d’un objet (adäquate Verursachung [7]). Cette causalité n’implique aucune idée de répétition suivant le principe du déterminisme classique, elle est singulière ou particulière dans son essence, parce qu’historique [8].

La dialectique scientifique ainsi définie échappe donc au danger du positivisme. Elle se refuse à valoriser indûment la matérialité en introduisant subrepticement la subjectivité, mais dans la mesure où elle met en lumière la positivité de l’objet, elle dégage aussi les conditions de la subjectivité et de l’action des hommes. Les valeurs apparaissent comme des variables dépendantes de la matérialité sans se confondre avec elle ; car elles traduisent le travail de l’homme sur les circonstances qui le forment. L’historicité de ces valeurs n’entraîne cependant aucun scepticisme ou relativisme à la Dilthey ; l’humanisme absolu, c’est-à-dire négativement la prise de parti en faveur de la communauté humaine, permet de dépasser la multiplicité des points de vue et des Visions du monde. La dialectique scientifique n’aplatit pas la conscience et les valeurs, elle montre comment ces dernières se distinguent de l’être, tout en montrant leur immersion dans les rapports de l’homme à la nature [9]. Selon cette perspective l’unité du savoir devient possible, en particulier l’unité des sciences humaines et des sciences de la nature, par le dépassement des antinomies opposant les disciplines du particulier et du général.
Dans une de ses intuitions les plus fécondes Marx écrivait déjà en 1844 [10] : « L’industrie est le rapport historique réel de la nature, et par suite des sciences de la nature, avec l’homme ; si donc on la saisit comme une révélation exotérique des forces essentielles de l’homme, on comprend aussi l’essence humaine de la nature ou l’essence naturelle de l’homme ; en conséquence les sciences de la nature perdront leur orientation abstraitement matérielle ou plutôt idéaliste et deviendront la base de la science humaine, comme elles sont déjà devenues — quoique sous une forme aliénée — la base de la vie réellement humaine ; doc qu’il y a une base pour la vie et une autre pour la science est de prime abord un mensonge... Les sciences de la nature comprendront plus tard aussi bien la science de l’homme, que la science de l’homme englobera les sciences de la nature : il y aura une seule science. »

Comme Lénine l’a fait observer, Marx n’a pas laissé d’exposé systématique de ses conceptions méthodologiques. Il faut les chercher pour l’essentiel dans le Capital et dans les œuvres qui le préparent, et les reconstituer ainsi que nous l’avons tenté en suivant Cerroni. On peut le regretter pour des raisons de commodité, mais il est évident que cela n’a rien d’étonnant : Marx réagissait contre l’apriorisme idéaliste de son temps et ses efforts convergeaient tous vers l’étude et le dévoilement d’un type historiquement déterminé de rapport social à la nature. Il n’étudiait pas la société en général selon le point de vue positiviste d’un Spencer, mais comme une formation économique et sociale particulière, possédant ses propres contradictions et ses propres lois de développement. Pour lui, c’est l’économie politique, c’est-à-dire le caractère à la fois arbitraire et autoritaire, socialisé et individualiste de la division du travail qui fournit les éléments de base pour comprendre la société capitaliste. L’activité humaine n’est pas ramenée à la technologie comme le croit le déterminisme économique, c’est plutôt l’activité humaine qui s’ordonne autour d’une vie productive qui échappe à son contrôle, parce que les fondements matériels de la production sont subjectivisés (le travail privé) et parce que ses conditions sociales sont réifiés. Les formes de la vie sociale semblent échapper à l’emprise humaine et deviennent ces catégories « éternelles » de l’économie bourgeoise dont parle Marx dans le Capital [11] :

« Les formes qui impriment aux produits du travail le cachet de marchandises et qui, par conséquent, président déjà à leur circulation, possèdent aussi déjà la fixité de formes naturelles de la vie sociale, avant que les hommes cherchent à se rendre compte, non du caractère historique de ces formes qui leur paraissent bien plutôt immuables, mais de leur sens intime. Ainsi c’est seulement l’analyse du prix des marchandises qui a conduit à la détermination de leur valeur quantitative, et c’est seulement l’expression commune des marchandises en argent qui a amené la fixation de leur caractère de valeur. Or, cette forme acquise et fixe du monde des marchandises, leur forme argent, au lieu de révéler les caractères sociaux des travaux privés et les rapports sociaux des producteurs, ne fait que les voiler... Les catégories de l’économie bourgeoise sont des formes de l’intellect qui ont une vérité objective, en tant qu’elles reflètent des rapports sociaux réels, mais ces rapports n’appartiennent qu’à cette époque historique déterminée, où la production marchande est le mode de production social. Si donc nous envisageons d’autres formes de production, nous verrons disparaître aussitôt tout ce mysticisme qui obscurcit les produits du travail dans la période actuelle. »

Cette analyse de Marx sur la vie « indépendante » des formes sociales dans la formation économique et sociale capitaliste est à la base de sa dénonciation du fétichisme de la marchandise, et, si l’on y regarde de plus près, à la base de sa conception des catégories juridiques. Elle a par conséquent une signification centrale pour toute théorie marxiste de la norme juridique, et pour Cerroni elle joue le rôle de fil conducteur dans son examen critique des doctrines du droit moderne et dans son essai de théorisation. Pour lui la théorie du droit doit éviter deux écueils, deux façons de méconnaître la réalité du droit en tant que forme sociale ; la première qui consiste à construire les catégories juridiques en faisant abstraction de leurs rapports avec une formation économique et sociale déterminée ; la seconde qui consiste à faire des catégories juridiques le reflet immédiat des structures sociales qu’elles ordonnent. Dans les deux cas, le problème du droit est assimilé à une problématique générale, non historique, qui ignore les fondements réels de la norme juridique : la collision des intérêts dans une société individualiste. Partant de telles prémisses la science juridique ne peut échapper à une ambiguïté fondamentale : d’orientation positiviste, elle finit par valoriser, sans le reconnaître, la force, par le fait même qu’elle écarte la question de la validité de la norme juridique ; d’orientation normativiste, elle tend à n’être qu’une réflexion sur l’éthique, une éthique dont les limites sont tracées par les rapports sociaux capitalistes.

On ne peut surmonter cette ambiguïté, cette perpétuelle hésitation entre facticité et morale, qu’en saisissant la spécificité du problème juridique : le droit en tant que forme sociale est particulier à la société capitaliste, il est une médiation indispensable à l’échange universel de producteurs privés, égaux formellement. Comme Marx l’a remarqué, le droit est en ce sens fondamentalement différent des privilèges de l’époque féodale qui sont liés directement à l’emploi de la violence et à la coercition ; ou encore de « l’ethos » de la cité antique. Le droit sanctionne la rencontre de « volontés libres », le choc d’individus indépendants, apparemment isolés avant leur rencontre sur le marché, mais soumis inconsciemment à la division du travail. Le droit est en quelque sorte un cadre nécessaire, une forme d’organisation sociale qui vient suppléer l’anarchie des rapports interindividuels ; la séparation progressive des individus du groupe. Il garantit à chaque membre de la société capitaliste que son propre comportement s’intégrera de façon « rationnelle » au comportement des autres membres de la société. Il limite les effets de l’égoïsme ou de l’égocentrisme en universalisant les intérêts particuliers, mais il ne se situe pas au niveau de l’équité. Le droit, comme la plupart des juristes l’ont senti, doit se séparer de la morale, mais en même temps il possède son autonomie par rapport aux relations sociales les plus immédiates. En tant que forme sociale, développée par l’esprit humain, il organise et rend possibles les rapports sociaux tout en étant conditionné par eux.

Ainsi comprise la théorie du droit rejette toute coquetterie avec la théorie du droit naturel qui prend pour point de départ l’individu-monade de la société capitaliste en lui attribuant une valeur absolue supra-historique et déduit de la liberté ou plutôt de l’indépendance de cet individu toutes les catégories juridiques. Cette théorie, en effet, fétichise les formes de sociabilité antagonistes de la société capitaliste et ne permet pas de résoudre le problème du droit tel que se le posait déjà Kant : isoler une sphère dans laquelle les actions humaines ne relèvent ni de la morale, ni de la force pure, mais d’une certaine rationalité garantissant la « liberté » de tous. En se basant sur les exigences de l’individu isolé (la personnalité chrétienne, l’homme naturel de Rousseau) on fonde les normes juridiques sur une morale individualiste tout en essayant de les rendre aptes à corriger le combat de tous contre tous au sein de la société capitaliste. Sur cette voie, la théorie juridique n’arrive pas à se débarrasser d’une profonde contradiction entre rationalité et données empiriques. Comme l’observe Umberto Cerroni à propos de Kant [12] : « Le procédé est en fait tel que pour constituer le droit au sens strict, Kant a recours au caractère universellement obligatoire de la morale, c’est-à-dire transcende le fait dans la structuration de la catégorie juridique, postulant comme fondement de la législation positive la rationalité de la libre vie commune des hommes en tant que personnes, une rationalité qui fait abstraction des faits et se pose comme un a priori. Puisque, par ailleurs, la rationalité fonde une législation qui veut ordonner efficacement la sphère des données empiriques, celle-ci — d’abord exclue — doit être réassumée telle qu’elle est en tant que contenu de cette législation. Il en découle alors que la législation doit être juxtaposée sans médiation au caractère moralement obligatoire du droit dans la mesure où celui-ci veut être un droit positif, c’est-à-dire contraignant, adéquat aux fins posées de rationalisation de la vie en commun. La conséquence ultime est que la catégorie juridique reste essentiellement non élaborée : elle se présente, ou comme obligation morale, ou comme simple force. »
C’est armé de ces conclusions qu’Umberto Cerroni aborde les théories contemporaines du droit, en particulier celle de Kelsen, la plus importante et la plus significative à ses yeux. Hans Kelsen, en effet, a poussé très loin la recherche d’une science juridique indépendante, exclusivement attachée à l’étude du droit comme système de normes ou impératifs techniques sanctionnés par l’Etat. Cette science, pour être pure, doit rester, selon Kelsen, non sociologique et se mettre à l’abri de l’intrusion de tout jugement sur la légitimité morale ou sur la justice de la norme juridique. Elle ne doit considérer que la cohérence et la légitimité formelles de l’enchaînement des normes sans chercher à faire de celles-ci des propositions relatives à la réalité. Le système du droit ne relève pas de la causalité des sciences physiques, il est un ensemble idéal de relations entre les normes comme devoir- être et l’efficacité d’un système juridique ne peut en aucun cas être un critère de sa validité. « Le fondement de la validité d’une norme est toujours une norme, dit Kelsen, non un fait. La recherche d’un tel fondement ramène non à une réalité quelconque, mais à une autre norme dont la première est dérivable. »
« La déduction hiérarchisée des normes se présente donc comme un système largement indifférent à tout contenu, ce qui justifie la définition apparemment singulière que donne Ernst Bloch de la doctrine kelsénienne [13] : « Un mélange de géométrie non euclidienne et de théorie médiévale à la Scott. » Géométrie non euclidienne, parce que, à partir de ses postulats, Kelsen développe avec une très grande virtuosité toute une série de conséquences ; scottisme, parce qu’il présuppose la primauté de la volonté sur l’intellect. Cette architecture imposante montre par conséquent sa très grande faiblesse en même temps que sa force. Le soubassement de l’édifice, la « Grundnorm », est extrêmement fragile, car il réintroduit toute la problématique que Kelsen croyait avoir expulsée de la théorie pure du droit. La norme fondamentale, ou encore, pour reprendre un terme très explicite de Kelsen, la source d’un système de normes échappe au critère qu’elle fonde elle- même ; sa validité vient de son contenu. Elle n’est plus une norme que par convention et ne peut être considérée comme autosuffisante ; elle fait partie du domaine de l’être et des jugements de valeur. Et logiquement Kelsen finit par admettre comme norme fondamentale un minimum de droit naturel, dans lequel il est difficile de différencier la légitimation morale et l’état de fait. La science juridique débouche de nouveau sur une impasse de type kantien. Science pure et non objective de l’ordre selon Kelsen, indépendante de toute valorisation comme simple combinaison de normes sans caractère historique, elle se rabaisse, en fait, jusqu’à n’être plus qu’une apologie de la société actuelle. Le « minimum de droit naturel » ce fut d’abord la démocratie américaine.
D’après Cerroni, l’autre orientation dominante, celle qui se veut réaliste et d’inspiration sociologique, ne réussit pourtant pas plus à construire une théorie satisfaisante du droit moderne. Duguit, le grand juriste français qui réagit contre l’individualisme et le subjectivisme, tombe dans les dangers de l’organicisme en opposant à l’individu une société indéterminée basée sur un lien abstrait d’interdépendance et de solidarité aux résonances morales, vagues et générales. L’antithèse individu-société n’est pas dépassée, et la socialisation impliquée par le solidarisme de Duguit ne dépasse pas le stade de la socialisation de certaines fonctions de la propriété privée sans parvenir à la conception de la socialisation de la société, c’est-à-dire des moyens de production. Le droit, dit Duguit, dévoilant lui-même le caractère illusoire de son dépassement de l’individualisme, est une création psychologique de la société.

Même sous sa forme la plus élaborée et la plus raffinée la sociologie du droit, en la personne de ses meilleurs représentants, Max Weber, G. Radbruch, G. Gurvitch, n’arrive pas à saisir l’objectivité des catégories juridiques en tant que formes sociales. Max Weber a montré la nécessité de mettre au point une typologie sociale qui permette d’opérer une discrimination significative dans la multiplicité des phénomènes sociaux qui sollicitent l’observateur. Il a élaboré lui-même une typologie juridique dont personne ne peut plus ignorer l’importance. On lui doit en particulier une analyse irremplaçable de la « rationalité » du droit. Mais sa conception d’ensemble reste marquée par un profond relativisme ; ses types idéaux n’atteignent pas l’objet et ne font que traduire les choix dictés au chercheur par son orientation culturelle. Les formes sociales n’ont plus qu’une réalité fantomatique, et toute historicité véritable des valeurs, leur mise en relation avec les rapports sociaux, devient impossible.

Georges Gurvitch, quant à lui, a poussé plus loin que tout autre — selon Cerroni — la recherche des connexions existant entre typologie juridique et typologie sociale ainsi que les liaisons entre les idées ou valeurs sous-jacentes au droit et les formes de la sociabilité. Il a eu le mérite d’insister sur l’importance des antagonismes sociaux dans la formation des règles juridiques, et sa critique du formalisme juridique et du normativisme kelsénien se révèle dévastatrice et adéquate [14]. Toutefois, les formes de la sociabilité qui sont à la base de sa théorie apparaissent très largement comme des ensembles sociaux prématurément valorisés, comme des modèles abstraits de comportements humains, et non comme des formes propres à une formation économique et sociale donnée. Il est par suite obligé de présenter la réalité du droit comme une combinaison plus ou moins arbitraire de systèmes juridiques élaborés à partir des formes de la sociabilité.
Après cet examen, que nous avons rendu ici schématiquement, U. Cerroni se sent habilité à conclure que les chercheurs d’inspiration non marxiste butent contre des barrières insurmontables dans leurs efforts pour construire une science du droit. Cette constatation ne le conduit pourtant pas à penser que les chercheurs se réclamant du marxisme se sont forcément portés sur la bonne voie et qu’ils sont protégés automatiquement contre les erreurs de méthode. Son esprit critique s’exerce en particulier contre Vychinski qui domina très longtemps la pensée juridique soviétique. Celui-ci réduit en effet le droit à un système de normes posées par la volonté de la classe dominante en fonction de ses intérêts, sans voir l’étroite relation qui unit norme juridique et rapports de production. Sa conception tombe en conséquence, aussi bien dans les erreurs du normativisme kelsénien que dans celles du positivisme de la pire sorte, puisqu’elle aboutit à justifier sans réserve au nom d’un déterminisme sociologique grossier tout acte du pouvoir. A l’inverse la théorie de Pasukanis, penseur soviétique d’une autre envergure, fait des rapports juridiques une simple émanation des rapports entre possesseurs de marchandises ; elle les assimile à l’infrastructure alors que Vychinski les plaçait dans la superstructure. Le moment normatif disparaît en même temps que l’autonomie du droit comme ensemble de règles universelles nécessaires à la vie sociale de producteurs privés « libres et indépendants ».

A ces deux conceptions, parentes dans leur positivisme malgré leurs profondes dissemblances, Umberto Cerroni oppose une vue beaucoup plus différenciée et complexe des catégories juridiques, établie en référence directe aux vues de Marx sur les catégories de la société bourgeoise [15] : « Marx, en somme, conçoit le droit moderne comme une organisation normative des rapports sociaux modernes, mais seulement dans la mesure où il pose que l’organisation de type exclusivement normatif (c’est-à-dire par l’intermédiaire de règles générales) est une articulation de rapports sociaux purement objectifs dans lesquels il n’y a pas de place pour les discriminations personnelles — c’est-à-dire une articulation de rapports sociaux englobés dans le mouvement des choses (les marchandises). La forme juridique, dans sa pleine acception, est la forme donnée à la connexion de la volonté des individus reliés socialement par la médiation réelle des choses, forme spécifique de cohésion de la société moderne. Il n’est pas question pour Marx « d’ajouter », par conséquent, à la détermination normative du droit une précision d’ordre sociologique, comme le pense Kelsen, mais de ramener méthodologiquement la formation des normes à un type de rapport social matériel, qui opérant exclusivement par l’intermédiaire de la rencontre des volontés (échange) et non plus par intermédiaire de la soumission directe du producteur, développe le rapport de production comme échange — sous la forme d’échanges entre individus personnellement séparés qui se mettent en rapport socialement par la médiation de leurs produits et qui, en particulier, échangent surtout leur force de travail..., de telle façon que le producteur direct moderne est libre dans sa personne et socialement asservi... »

Le droit se trouve ainsi débarrassé de ses voiles idéologiques ; et l’égalité de dignité des personnes isolées, chère à la déclaration des droits de l’homme, apparaît comme basée sur l’inégalité sociale concrète. Le contrat de travail, ce droit personnel de nature réelle selon Kant, qui transforme en contrat la dépendance sociale du vendeur de la force de travail prend une valeur symbolique. « La démocratie du marché cache le despotisme de l’entreprise », remarque à ce sujet Paçukanis. La société synallagmatique, c’est-à- dire fondée sur la réciprocité des obligations, apparaît en réalité comme une société de la division et de la domination dans laquelle l’indépendance personnelle est construite sur la dépendance matérielle. Les individus n’arrivent plus à la saisir comme la somme des relations et des rapports qu’ils entretiennent entre eux, mais la conçoivent comme un rassemblement contingent de personnes et d’événements particuliers dans lequel le système juridique comme système de normes générales et fixes introduit les éléments nécessaires de rationalisation et de calcul. Le droit trouve par conséquent sa validité dans la garantie et la défense de la séparation (l’activité sociale privatisée) au sein de la socialisation (multiplication et intensification des rapports entre les hommes), d’où son caractère d’obligation opposable à tous. En ce sens il ne se confond pas immédiatement avec les intérêts des classes dominantes tout en traduisant les valeurs profondes qui les inspirent. Indispensable aux rapports sociaux capitalistes il en est inséparable. Sa génération toutefois n’est pas spontanée ; il a besoin d’une médiation externe pour faire face au déchaînement des intérêts particuliers. Il implique donc la séparation de la sphère de l’intérêt général de celle de l’intérêt particulier, c’est-à- dire la séparation de la société civile et de l’Etat.

C’est en partant de cette liaison étroite entre le droit et la politique qu’Umberto Cerroni entreprend de compléter sa construction du droit par une théorie de l’Etat. A cet effet il se tourne d’abord vers les critiques faites par Marx aux théories de Kant et de Hegel, car elles fournissent d’importantes indications de méthode. Kant, fidèle à sa conception du choit naturel, a le premier élaboré une théorie de l’Etat de droit comme primat de la loi et comme garantie des droits de l’individu. Cet Etat de droit est un Etat laïcisé qui repose sur la souveraineté populaire, ou plus exactement sur un pacte social entre des individus libres et égaux, mais, tel que le présente Kant, il est miné par de sourdes contradictions qui renvoient aux contradictions fondamentales de la société. Cet Etat naît comme une exigence de rationalisation, comme un dépassement de l’hétérogénéité sociale, mais en même temps il se réalise concrètement dans la défense de la scission de la société en personnes-fins et en personnes- moyens.

« La conséquence de tout cela, écrit Cerroni, est que la structure même de l’Etat ne peut être conçue que comme une structure subsidiaire par rapport à la félicité privée, et par suite comme une sphère dans laquelle l’égalité n’est possible que dans la mesure où elle garantit le retour à la liberté-inégalité. » La communauté humaine de Kant qui se manifeste par la participation politique reste effectivement une communauté abstraite à laquelle n’ont part que les titulaires du droit de propriété, et la souveraineté populaire trouve sa limite dans la souveraineté étatique, supérieure en tant que garantie des droits et qu’émanation d’une activité législative générale à la volonté informe du peuple. Le peuple selon Kant ne parvient à l’existence que grâce à la législation et à l’Etat, si bien que la souveraineté populaire, comme le remarque Cerroni, « tend à se réduire à un simple processus transitoire de désignation des gouvernants, limité par les droits naturels de l’individu privé ». « L’Etat est un Etat représentatif qui repose sur la délégation et sur le pouvoir réel d’une minorité. Le droit de résistance et le régicide sont exclus en tant qu’irruption de l’arbitraire et de la populace dans la vie politique, et en tant que violation de l’autonomie étatique. L’Etat, d’un côté, apparaît comme libéral dans la mesure où il se fait le défenseur de la félicité privée, d’un autre côté il apparaît comme autoritaire et hors de portée pour le commun des mortels. D’ailleurs, la théorie de l’Etat de droit a oscillé perpétuellement jusqu’à nos jours (de Kant à Schumpeter), entre ces deux aspects contradictoires sans arriver à les surmonter [16]. »

Chez Hegel, l’indépendance relative de l’Etat par rapport à la souveraineté populaire est poussée encore plus loin, puisqu’il devient le but immanent de la société civile. La liberté concrète, dans la pensée hégélienne, n’est possible en effet que par la disparition de l’intérêt particulier dans le système de l’intérêt général, c’est-à-dire dans l’Etat. Aussi bien l’Etat marque-t-il une nette tendance à la personnalisation et à l’auto-régulation par rapport à la société. L’article 271 des Principes de la philosophie du droit dit [17] : « La constitution politique est en premier lieu l’organisation de l’Etat et le processus de sa vie organique par rapport à lui-même. Dans ce processus il distingue ses éléments à l’intérieur de soi-même et les développe en existences fixes. En second lieu, il est en tant qu’individualité, une unité exclusive qui, par conséquent, se comporte pat rapport à d’autres. Il tourne donc son organisme différencié vers l’extérieur et, dans cette détermination, place ses termes différenciés à l’intérieur de soi- même dans leur idéalité. » « Le peuple n’est plus en fait qu’une articulation de l’Etat et ne conserve même pas la relative autonomie que lui accordait Kant : tout finit par dépendre de l’Etat dont « l’organisation est le rationnel en soi et l’image de la raison éternelle. »

Cette conception organiciste et mystifiée de l’Etat qui supprime formellement et abstraitement les contradictions entre sphère de l’intérêt particulier et sphère de l’intérêt général en niant la réalité profonde de l’un des deux termes (le plus important), ne peut pas ne pas apparaître comme une résolution purement illusoire, une unité purement dualiste des contradictions réelles. Dans un commentaire de l’article 277 Marx note [18] : « Les affaires et les activités de l’Etat sont liées à des individus (l’Etat n’est actif que par l’intermédiaire des individus), non pas à l’individu physique, mais à l’individu politique, pris dans sa qualité de membre de l’Etat. Il est donc ridicule que Hegel dise qu’elles ont un lien extérieur et accidentel avec la personnalité particulière comme telle. Elles y sont plutôt liées par un lien substantiel, par une qualité essentielle de l’individu. Cette absurdité vient de ce que Hegel considère les affaires et les activités de l’Etat d’une façon abstraite et en soi, et l’individualité particulière comme son contraire ; mais il oublie que l’individualité particulière est une fonction humaine et que les affaires et les activités de l’Etat sont des fonctions humaines ; il oublie que l’essence de la personnalité particulière n’est pas sa barbe, son sang, sa nature physique abstraite, mais que sa qualité sociale, et que les affaires de l’Etat ne sont rien d’autre que les modes d’existence et d’activités sociales des hommes. »

Marx touche là un des points les plus faibles de la théorie hégélienne, le caractère abstrait de sa construction politique organiciste, l’absence de médiations véritables entre la sphère de l’intérêt général et celle de l’intérêt particulier. Les états hégéliens, ou encore les classes politiques comme les appelle Cerroni, représentent en principe une sphère particulière qui fait la synthèse ou la transition entre l’Etat et la société civile, mais — selon la juste remarque de Marx — ces états restent ambigus ; ils ont envers le peuple la position du gouvernement et envers le gouvernement la position du peuple. L’Etat apparaît tantôt comme classe politique, tantôt comme classe sociale (relevant de la société civile). Il ne représente pas une véritable synthèse, mais un mélange de pôles contradictoires, puisque les classes sociales dans la société capitaliste, au contraire de ce qui se passait dans la société féodale, n’ont pas et ne peuvent avoir d’existence immédiatement politique. Aussi bien, en cherchant à retrouver l’unité de la société à l’intérieur de la seule sphère étatique, Hegel ne fait que parvenir à une solution verbale des problèmes de la séparation.

Toute la critique de Marx tend par conséquent à démonter l’irréductibilité de la dichotomie entre Etat et société civile dans le cadre capitaliste et à montrer qu’elle trouve son origine dans l’irréductibilité de la séparation entre individus. Chacun recherchant la limitation de l’autre, c’est-à-dire recherchant l’intérêt général pour défendre son intérêt particulier, l’intérêt général et sa sphère sont inassimilables à la sommation des intérêts particuliers : intérêt particulier et intérêt général ne peuvent être conçus clairement que diamétralement opposés. Dans sa réalité profonde la participation politique, même lorsqu’elle est appuyée sur le suffrage universel, n’est ainsi qu’une socialisation partielle. Elle ne surmonte pas la privatisation et la dissociation, elle ne fait que les compenser en érigeant une communauté de citoyens (dépouillés en apparence de leurs qualités concrètes) qui est pure garantie de l’ordre et de la liberté. Chaque individu mène une vie double, en tant que citoyen et en tant que bourgeois (ou membre de la société civile), mais il ne faut pas gratter trop longtemps pour s’apercevoir que le bourgeois contamine le citoyen, et que la communauté idéale se révèle étroitement dépendante du « matérialisme sordide » de la société civile. Comme l’écrit Marx dans La question juive [19] : « Là où l’Etat politique est arrivé à son véritable épanouissement, l’homme mène non seulement dans la pensée, dans la conscience, mais dans la vie, une existence double, céleste et terrestre, l’existence dans la communauté, où il se considère comme un être général, et l’existence dans la société civile, où il travaille comme simple particulier, voit dans les autres hommes de simples moyens et devient le jouet de puissances étrangères. L’Etat politique est, vis-à-vis de la société civile, aussi spiritualiste que le ciel l’est vis-à-vis de la terre. Il se trouve envers elle dans la même opposition, il en triomphe de la même façon que la religion triomphe du monde profane ; il est forcé de la reconnaître, de la rétablir et de se laisser lui-même dominer par elle. »
Dans une telle perspective, l’Etat et la société apparaissent comme distincts, mais étroitement imbriqués, ou pour suivre Cerroni, comme liés par un rapport d’inclusion et d’exclusion réciproques. L’Etat est l’ordonnateur de la société, mais dans les limites qu’elle lui fixe. Il se place à côté d’elle et au-dessus d’elle, mais comme une excroissance ou une modulation particulière de ses forces principales. En tant qu’ordonnateur, il est une cristallisation de formes et de forces sociales qui échappent à l’arbitraire des individus et des groupes sociaux. Il doit se présenter comme manifestation de la volonté générale et ne peut traduire en toutes circonstances les intérêts des classes dominantes contrairement à ce qu’affirmait Vychinski. Il les réfracte ou les filtre par le biais de la formalisation légale et par celui de l’opinion publique, expression de la libre volonté des citoyens actifs politiquement. A juste titre le marxiste allemand Léo Kofler écrit dans un ouvrage récent [20] : « La spiritualisation de la domination est le véritable devoir de l’Etat bourgeois moderne, et cela avec l’aide de la spiritualisation de la violence qui n’est jamais vraiment écartée. Le but poursuivi est la démocratie « librement voulue » par tous, en fait obtenue grâce à cette spiritualisation en tant que forme de la domination du petit nombre. »

Le consensus de la science politique moderne, avec son corollaire, l’intervention compensatrice des déséquilibres, est effectivement un moment très important (pas seulement idéologique) de la vie politique ; sans lui l’Etat pourrait difficilement rester cette sphère de l’ordre et des règles générales, nécessaire à la survivance de la société capitaliste. L’Etat de l’arbitraire total, tel que l’était l’Etat nazi de la dernière période, ne peut être qu’un moment de crise et de paroxysme, et non ce règne de la loi cher à la bourgeoisie. C’est pourquoi Cerroni s’oppose aux vues, telles celles de Max Weber [21], qui font de l’Etat unilatéralement une machine ou un appareil de coercition, c’est-à-dire l’apanage exclusif ou quasi exclusif de la bureaucratie. L’assimilation de l’Etat à une entreprise de type capitaliste, même si elle fait découvrir certains aspects fondamentaux de la machine étatique, laisse inexpliqué le phénomène essentiel de la séparation entre politique et économie, c’est-à-dire celui de l’autonomisation des formes d’organisation de la vie sociale. La rationalisation qui pousse à la bureaucratisation doit être conçue non comme la progression de la rationalité en général, mais comme fonctionnelle aux exigences de la dissociation des individus et de la privatisation de l’activité sociale. Il y a bureaucratisation parce qu’un corps séparé de la société est chargé de formaliser et d’appliquer la volonté générale, et non parce que dans l’abstrait la bureaucratie est plus efficace que toute autre forme d’organisation. La bureaucratie en tant que formalisme de l’Etat ne peut résumer à elle seule toute la sphère de l’Etat, elle reste subordonnée à l’intérêt général des classes dominantes. Aussi, en prolongeant cette analyse critique de Cerroni, peut-on arriver à une conception plus différenciée de l’Etat. Les éléments sociaux suivants doivent être considérés comme indispensables à son activité :
1° Une élite bourgeoise qui, en s’appuyant sur la fortune, possède « l’indépendance » et la « liberté d’esprit » nécessaires pour avoir le sens de l’ordre et de l’Etat, c’est-à-dire de la puissance et de la domination.
2° Une couche d’intellectuels qui donne homogénéité et conscience de leur propre fonction aux classes dominantes (Gramsci).
3° Là bureaucratie.
4° Le personnel politique qui sert d’intermédiaire entre le peuple et la sphère séparée de l’Etat : les couches supérieures du personnel politique s’assimilent souvent à l’élite du pouvoir.

Cette construction théorique, qui paraît surtout s’appliquer à l’Etat libéral classique, permet également de mieux comprendre l’Etat moderne sous sa forme d’Etat-Providence. Au premier abord, ce dernier semble dépasser la dissociation en collaborant de plus en plus étroitement avec les groupes professionnels ; en leur donnant des attributs politiques et même des fonctions d’organisation sociale. Mais un examen plus attentif révèle que l’Etat moderne ne considère ces groupements que comme des coalitions d’intérêts privés contradictoires avec l’intérêt général parmi lesquelles il opère une discrimination et une hiérarchisation en fonction de l’équilibre général du système. L’intérêt général ne coïncide toujours pas avec l’intérêt privé, et l’extension des fonctions sociales des groupements professionnels cache en fait une extension de la sphère étatique conditionnée par les formes antagonistes de la socialisation des forces productives. L’exercice de ces fonctions sociales ou économiques se trouve, en effet, contrôlé étroitement par la bureaucratie. Ce qui, à première vue, semble être une affirmation de la société civile, sous la forme d’un néo-corporatisme et d’un néo-féodalisme technocratiques, traduit plutôt l’impuissance de cette société civile à trouver son équilibre de façon spontanée dans le cadre de la concurrence monopolistique et oligopolistique. L’Etat ne se trouve plus, comme au xixe siècle, face à une multitude d’entrepreneurs privés, combattue elle-même par une classe ouvrière encore mal organisée. Il affronte aujourd’hui une société civile partagée et polarisée entre une minorité de groupes capitalistes fortement structurés et une très forte majorité de salariés ou de producteurs dépendants. Pour ne pas laisser cet antagonisme latent libre de développer ses potentialités, l’Etat n’a pas d’autre ressource que de recréer l’atomisation des groupes et des classes exploitées de la société en leur faisant certaines concessions, mais en limitant en même temps leur liberté d’action collective. Pour éviter les dangers qui naissent de l’affrontement des groupes capitalistes entre eux il n’a pas d’autre ressource que de rétablir une certaine harmonie en venant au-devant de leurs difficultés, ce qui entraîne une Concentration étroite sur les problèmes économiques et sociaux.

L’Etat du droit social et de la politique économique, catégories qui paraissent surmonter la séparation du droit public et du droit privé, de l’économie et de la politique, n’est en définitive pas plus neutre ou au-dessus des classes que l’Etat-gendarme du xix* siècle. Par contre il s’en distingue dans son fonctionnement, en renonçant à jouer sur certains mécanismes démocratiques et surtout en renonçant à donner une quelconque consistance à la communauté abstraite des citoyens. Il n’est plus soumis au contrôle de l’opinion publique bourgeoise comme son prédécesseur, puisque celle-ci — en tant qu’élaboration politique critique d’un public bourgeois qui s’appuyait sur son activité économique indépendante et sur « sa liberté » par rapport aux contingences matérielles les plus immédiates — a cessé d’exister. L’opinion publique de notre époque est ou bien une opinion publique manipulée par l’action conjointe des grands oligopoles et de l’Etat, ou bien plus rarement l’irruption sur la scène politique de courants qui n’acceptent pas la règle du jeu. Dans ce cadre la liberté politique pure devient un leurre tout autant que l’autonomie de l’individu. Les partis, ces groupements « volontaristes » qui, en principe, ne font que traduire à l’état pur la passion de la participation, se transforment la plupart du temps en simples courroies de transmission du mouvement étatique, ou plus exactement en échelons bureaucratiques chargés de transmettre vers le bas l’orientation décidée en haut et de transmettre vers les sommets la réaction enregistrée en bas sur les effets des décisions étatiques. La participation politique n’est plus que la participation à des organismes à la vocation faussement universelle dont le but réel est la préservation d’intérêts à l’horizon extrêmement limité [22]. Elle se dégrade au point de ne plus se donner pour objet la socialisation partielle des rapports interindividuels et intergroupes qu’elle abandonne presque complètement à l’entente de la bureaucratie et des fondés de pouvoir des classes dominantes. L’Etat devient un peu plus indépendant de la société civile massifiée, mais un peu plus dépendant de sa concertation avec les groupes capitalistes.

Ces caractéristiques fondamentales du droit et de l’Etat excluent, on s’en rend facilement compte, une conception simplificatrice de la lutte pour le socialisme et pour le dépassement des structures étatiques actuelles. Détruire l’Etat, ce n’est pas simplement détruire une machine coercitive, c’est mettre fin à la séparation entre société civile et sphère de l’intérêt général en s’attaquant à ses racines profondes : la dissociation interne de la société. La destruction de l’Etat, comme l’ont bien vu Lénine et Gramsci, est en même temps construction d’un nouveau type d’Etat, d’un Etat qui tend peu à peu à réintégrer la société en devenant l’auto-gouvemement des masses populaires. La lutte pour le socialisme ne peut donc se réduire à la lutte pour la prise de l’appareil d’Etat ; elle est avant tout lutte pour associer* au sein même de la société actuelle tous les hommes qui refusent les rapports de production capitalistes. Elle se concrétise par la formation graduelle d’un nouveau bloc historique (unité des infrastructures et des superstructures) capable de se substituer au bloc historique capitaliste ; en d’autres termes elle se concrétise par l’unification de la force productive révolutionnaire (le prolétariat) et de la conscience historiquement la plus adéquate aux problèmes de la société. La prise du pouvoir dans cette perspective est l’issue victorieuse d’une période instable de double pouvoir où les organismes de la démocratie directe en constitution (démocratie dépassant la séparation entre politique et économie) affrontent le pouvoir des classes dominantes. La révolution socialiste ne peut être un coup de main ou la simple conquête d’une majorité parlementaire ; elle s’exprime par de profonds bouleversements du fonctionnement « normal » de la société et par un renversement des habitudes les plus ancrées. Le parti révolutionnaire ne peut par conséquent être seulement un parti-machine qui entre en compétition avec d’autres partis- machines pour obtenir le pouvoir. Comme le souligne Cerroni après Gramsci, la politique n’est pas pour lui une technique qu’il applique avec plus ou moins de bonheur en fonction des « intérêts » de ses mandants ; elle est une lutte pour la libération des énergies sociales d’une société encore dissociée, pour l’application d’un programme de reconstruction collective. Pour cette raison le parti ne peut être cet état-major qui se subordonne les masses dont parlait Staline. Son rôle d’avant-garde n’est pas celui de guide infaillible, mais celui d’éveilleur des consciences et celui d’accoucheur de l’action libératrice. Pendant les périodes de lente maturation il cristallise en lui les expériences accumulées et la perception la plus développée des tâches à accomplir, pendant les périodes de lutte ouverte il doit devenir le détachement le plus avancé et le plus combatif des classes exploitées. Comme organisme né dans la société capitaliste, et participant malgré tout de la séparation entre politique et économie, il n’est toutefois pas assuré par décret de ne pas succomber à la bureaucratisation, à la restriction de son horizon par la routine et au paternalisme de la représentation. Il est en quelque sorte une conquête permanente, une mise à jour incessante du programme de la démocratie directe [23].

Par ailleurs, si l’on suit toujours avec Cerroni cette théorie de l’Etat, il devient évident que l’on doit s’opposer à la conception fausse de l’Etat de transition que les Soviétiques ont hérité de Staline ; celle qui veut faire passer le dépérissement de l’Etat par son renforcement graduel jusqu’à la réalisation de la société communiste [24]. Attribuer à l’Etat l’essentiel des fonctions de socialisation de la société, c’est admettre que la société civile doit rester impuissante jusqu’au jour où brusquement elle deviendra toute puissante et autogérée. L’état, conçu de cette façon, n’est pas un Etat de démocratie directe qui réintègre peu à peu la société, mais le tuteur omniprésent des classes qu’il représente. Il est doté selon les juristes soviétiques de la fonction d’organisateur de la vie politique, économique et idéologique, ce qui veut dire qu’il tend à assumer seul l’activité d’édification de nouveaux rapports sociaux, imposés d’en haut aux individus et aux groupes sociaux par l’éducation ou la contrainte externe. D’un côté cet Etat se montre sous un aspect paternaliste et répressif, d’un autre côté il se présente comme l’Etat de tout le peuple, réalisant à l’instar de l’Etat hégélien la réconciliation idéologique de l’individu et de l’intérêt général. Dans ce contexte le droit qui, selon Marx, ne devrait être qu’une survivance, se retrouve qualifié de droit socialiste, alors qu’il est rationalisation de la dissociation.

La société soviétique se dévoile ainsi comme une société dans laquelle la destruction du capitalisme n’a pas encore mis fin à l’isolement et à l’atomisation des individus. La redécouverte progressive par les théoriciens soviétiques du bien-fondé de la perspective de l’autogestion, les premières ébauches de critique des thèses de Staline en sont des témoignages indirects, puisqu’elles renvoient à des défectuosités réelles de la société présente. Cela n’infirme en rien la perspective de Lénine, mais cela devrait nous persuader de la justesse de ces paroles de Pasukanis auxquelles, aujourd’hui, il n’y a rien à retrancher : « La Morale, le Droit et l’Etat sont des formes de la société bourgeoise. Si le prolétariat est obligé de s’en servir, ceci ne veut pas dire qu’il y a possibilité d’un développement ultérieur par l’introduction dans ces formes d’un contenu socialiste. Elles sont incapables d’embrasser ce contenu et doivent disparaître avec la réalisation du socialisme. Néanmoins, dans la période de transition actuelle, le prolétariat doit nécessairement user, dans son propre intérêt de classe, de ces formes héritées de la société bourgeoise et par là même les épuiser jusqu’au bout... Le prolétariat doit adopter une attitude sensée et critique non seulement à l’égard de l’Etat et de la morale bourgeoise, mais encore vis-à-vis de son propre Etat prolétarien et de sa propre morale prolétarienne. » Umberto Cerroni, dont l’œuvre a pour but la désacralisation du droit et de l’Etat, ne désavouerait certainement pas pareille conclusion.


Source : exemplaire personnel





Site
consacré
aux écrits
de
Jean-Marie
Vincent
(1934-2004)




[1Rudolf Hilferding, Das Finanzkapital, Berlin, 1955, p. 3.

[2Les Temps Modernes, février 1964, p. 1502.

[3Nous faisons référence ici à l’ouvrage Marx e il diritto moderno, Rome 1962 et à un certain nombre d’articles récents.

[4Marx-Engels, Ausgewahlte Briefe. Berlin, 1933, p. 31.

[5Les analyses de ces deux auteurs sont à la base des réflexions de Cerroni. Voir de Galvano della Volpe, Logica corne scienza positiva, Messina-Firenze, 1956, et La libertà comunista, Milano, 1963 ; de Lucio Colletti la préface à La dialettica dell’astratto e del concreto nel Capitale di Marx, de E. V. Il’enkov, Milano, 1961.

[6D’intéressantes remarques sur ce point dans Bêla Fogarasi, Logik. Berlin, 1955, pp. 275-287.

[7Voir Max Weber, Gesammelte Aufsätze zur Wissenschaftslehre. Tübingen, 1951, pp. 266-290.

[8Ce qui n’exclut pas des régularités dans un cadre bien déterminé.

[9Sur toute cette question voir le livre d’Alfred Schmidt, Der Begriff der Natur in der Lehre von Marx, Frankfurt 1962, selon qui le mouvement dialectique unifiant l’homme et la nature au sein de la production inclut les lois de la nature. A. S. ajoute que la position épistémologique de Marx se situe quelque part entre Hegel et Kant, puisqu’elle refuse tant l’identité du sujet et de l’objet que le problème de la chose en soi.

[10Karl Marx, Manuscrits de 1844, Paris, 1962, pp. 95-96. La science comprise dans ce sens n’est pas la science d’Auguste Comte ; elle est à la fois théorie et histoire ; elle est dépassement de la conscience.

[11Le Capital. Editions sociales, Paris, pp. 87-88.

[12Op. cit., pp. 33-34.

[13Voir Ernst Bloch, Naturrecht und menschliche Würde, Frankfurt 1961, p. 171. Allusion à Dun Scott.

[14Voir Georges Gurvitch, Grandzüge der Soziologie des Recbts, Neuwied, 1960.

[15Op. cit., pp. 75-76.

[16Idem, pp. 190-210.

[17Hegel, Principes de la philosophie du droit, traduction Kaan, pp. 209-210.

[18Critique de la philosophie de l’Etat de Hegel, traduction Molitor, pp. 49-50.

[19Karl Marx, Œuvres philosophiques, t. I, traduction Molitor, p. 177.

[20Léo Kofler, Staat Gesellschaft und Elite zwischen Humanismus und Nihilismus, Ulm, 1960, p. 34.

[21Voir la série d’articles de Cerroni parus dans Rinascita du 27 octobre au 17 novembre 1962. Les vues de Max Weber sont exprimées dans Wirtschaft und Gesellschaft, t. II, pp. 830-834, édition de 1956. Il est à noter que Max Weber a tendance à surestimer l’Etat en tant qu’appareil, parce qu’il sous-estime la capacité d’intervention des classes dominantes. Ceci dit, il faut reconnaître que Max Weber a plus qu’aucun autre sociologue moderne fait progresser la sociologie de l’Etat.

[22Sur ce problème voir l’excellent ouvrage de Jürgen Habermas, Strukturwandel der Œffentlichkeit, Neuwied, 1962.

[23Pour tout ce passage voir l’article de Cerroni, « Per una teoria del partito politico » dans Critica marxista, septembre-décembre 1963, pp. 15-60.

[24Voir l’article de Cerroni « Questioni costituzionali in U. R. S. S. * dans Problemi del socialismo, juillet-août 1963, pp. 869-880.