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L’Europe en péril

Futur antérieur

n° 18, p. 12-13, avril 1993




Un an après le référendum français sur Maastricht, l’Europe des douze est dans une crise profonde. Les institutions communautaires sont en grande partie paralysées et sont en particulier incapables d’entreprendre des politiques crédibles dans un domaine aussi sensible que le chômage. Le système monétaire européen, longtemps présenté comme un gage de stabilité, n’a pu résister aux jeux spéculatifs du capitalisme financier international, essentiellement anglo-saxon.

En fait, les États nationaux de la communauté songent avant tout à se tirer le moins mal possible de situations économiques délicates en faisant cavalier seul, c’est-à-dire en abandonnant toute perspective de construction européenne. La France gouvernée par M. Balladur a jusqu’à présent limité sa politique européenne à une lutte justifiée contre le pré-accord de Blair House, un diktat américain. Sans imagination, elle n’a rien fait, rien proposé pour redonner du dynamisme à la communauté. L’Allemagne fédérale, pour sa part, n’en finit pas de faire son unification et son gouvernement ne voit plus guère que l’horizon des élections législatives de 1994.

Cette crise est, bien sûr, le résultat de l’économisme libéral qui a toujours été dominant dans la construction européenne et qui a empêché les dirigeants de l’Europe des douze de prendre au sérieux l’Europe sociale et l’Europe des politiques communes. Mais elle est aussi le fruit de l’aveuglement des dirigeants européens devant les phénomènes de mondialisation économique, trop longtemps sous-estimés. Dans ce contexte de crise, la dynamique européenne de la période de prospérité est en voie de disparition et fait place soit à une logique du sauve-qui-peut, soit à une logique de l’immobilisme. Le désarroi est manifeste dans les milieux politiques, et beaucoup sont tentés de le masquer sous une rhétorique nationaliste. On voit en effet réapparaître le mirage de politiques keynésiennes à l’échelon national, alors qu’elles ne pourraient être effectives qu’à l’échelon européen et complétées par une lutte contre le désordre monétaire international et la spéculation.

Il faut en prendre conscience, l’Europe communautaire n’est pas une zone protégée, c’est un enjeu qu’il ne faudrait surtout pas laisser à l’arbitraire et au dilettantisme des gouvernements actuels. Une étape de la construction européenne est en train de se terminer, et il faut clairement se poser la question des étapes suivantes. Ou bien la communauté consolidera ses institutions en les démocratisant et en les utilisant différemment, ou bien elle s’exposera de plus en plus à de forts risques de désagrégation.





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Jean-Marie
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(1934-2004)