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Parce que nous avons à cœur

Tribune socialiste

p. 3, 23 mai 1968




Chaque heure qui passe volt le nombre des grévistes augmenter. Plus de la moitié des salariés de France occupent en ce moment leurs lieux de travail et manifestent leur volonté de mettre fin à un régime d’exploitation qui leur dénie tout droit à l’auto- détermination collective dans le travail et dans la vie quotidienne. Il s’agit du mouvement le plus important qu’ait connu notre pays depuis très longtemps tant par son ampleur que par sa profondeur.
Son contenu anti-capitaliste est évident comme en témoignent les drapeaux rouges qui flottent sur les usines et comme en témoignent les revendications portant sur le pouvoir dans les entreprises. Cet immense mouvement qui n’a pas encore atteint son apogée est pourtant menacé d’enlisement. S’il n’affirme pas clairement ses objectifs. s’il ne lutte pas résolument pour abattre le régime gaulliste, s’il ne se présente pas comme candidat au pouvoir.
L’orienter vers des négociations avec le gouvernement en place sur des revendications matérielles ou syndicales limitées, lui proposer à l’instar du P.C.F. comme seule perspective des élections générales et à trouver la formation hypothétique d’un gouvernement d’union démocratique, c’est le mener à la démobilisation face à des classes dominantes qui n’attendent que le moment de passer â la contre-offensive. Il faut prendre conscience que les concessions matérielles que pourront ’accorder le gouvernement et le patronat dans le cadre de nouveaux « accords Matignon » seront en effet peu à peu grignotées, s’il n’y a pas de bouleversement fondamental des rapports de force entre les classes si le front des ouvriers, des paysans et des étudiants n’établit pas ses propres organes de pouvoir et ne se prépare pas à faire de ces organes l’ossature d’un nouveau type d’Etat.
C’est pourquoi sont particulièrement graves les attaques lancées par le secrétaire général de la C.G.T, Georges Seguy contre l’U.N.E.F. et l’ensemble du mouvement étudiant. Elles ne peuvent avoir pour effet que de creuser un fossé entre étudiants et ouvriers, alors que leur union est nécessaire dans le combat présent et à venir. Est- il besoin de dire que Jamais au grand jamais un dirigeant de l’U. N.E.F. n’a manifesté la moindre intention de donner des leçons à la classe ouvrière. Les étudiants, il est vrai, ont un esprit critique qui n’épargne pas les organisations traditionnelles de la classe ouvrière. Mais qui peut nier aujourd’hui qu’ils ont déclenché un mouvement qui a secoué toute la société française et ébranlé le régi- me gaulliste Jusque dans ses tréfonds.
Ceux qui ont toujours le cri d’unité à. la bouche, devraient enfin comprendre qu’on ne peut pas faire l’unité de tous ceux qui rejettent le capitalisme en cherchant à imposer, bureaucratiquement des mots d’ordre qui ne correspondent ni à l’expérience, ni aux aspirations des couches qu’on prétend entraîner dans la lutte. Avoir sans cesse le mot « provocation > à la bouche n’est pas une preuve de maturité politique, mais au contraire une réaction de crainte et de conservation devant tout ce qui dérange les vieilles habitudes.
Aujourd’hui tous ceux qui ont à cœur de voir réussir le mouvement des ouvriers des paysans, des étudiants doivent tout faire pour balayer ce genre d’attaque aussi négative que démoralisatrice. Il n’est en effet pas possible de lui donner cohésion et puissance, si les objectifs politiques mettant en cause les fondements de notre société, ne sont pas discutés librement et adoptés démocratiquement. Le P.S.U. qui a déjà appelé à la formation de comités d’action populaire, afin que le mouvement se structure, fera tous les efforts pour qu’à travers cette affirmation populaire, l’unité se réalise dans le combat entre ouvriers, paysans et étudiants.





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(1934-2004)