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La lutte d’Ho Chi Minh

Tribune Socialiste

n° 420, p. 12, 11 septembre 1969




La mort d’Ho Chi Minh n’appelle pas les commentaires hypocrites, les fleurs de rhétorique qu’on déverse sur les chefs d’Etat à leur mort. Il était avant tout un révolutionnaire et sans doute une des meilleures incarnations de la llle Internationale, c’est-à-dire l’incarnation d’une période exaltante et douloureuse, riche en conquêtes, mais aussi en défaites et en erreurs du mouvement ouvrier international.
Dans sa jeunesse Nguyen Ai Quoc, le futur Ho Chi Minh, fut un précurseur. L’un des premiers, il se rendit compte que le combat pour l’émancipation nationale des peuples colonisés ne pouvait être séparé du combat du prolétariat pour son émancipation sociale. Avec une ténacité, une abnégation remarquables il contribua à la construction du mouvement communiste au Vietnam et en Indochine. Profondément attaché à son peuple et à sa terre natale, il était aussi profondément internationaliste et exempt de la suffisance chauvine propre à beaucoup de leaders communistes de l’époque.
Ho Chi Minh suivit jusqu’à la Seconde Guerre mondiale tous les tournants imposés à l’Internationale communiste par Staline, du sectarisme de la troisième période (la tactique du social-fascisme) à l’opportunisme de la période des fronts populaires. Mais il n’avait pas l’étoffe d’un carriériste conformiste. Chez lui la soumission à l’orientation générale décrétée par le Komintern n’alla jamais jusqu’à l’abandon de l’objectif stratégique : briser la domination coloniale.
Sa grandeur, son envergure en tant que chef révolutionnaire se manifestent dès 1941, lorsqu’il prépare son parti à la guerre populaire contre le colonialisme et ses complices vietnamiens. Contre les Français, les Japonais ou les Chinois de Tchang Kaï-chek il devient peu à peu le leader de la nation vietnamienne.
En 1945 l’insurrection populaire le porte à la tête de l’Etat vietnamien reconstitué, mais il doit très vite se rendre compte que la solidarité socialiste internationale proclamée dans les discours par les partis frères ne lui sera pas d’un grand secours dans la pratique. Le négociateur de Fontainebleau ne bénéficie d’aucune aide sérieuse des communistes français qui sont pourtant au gouvernement, pas plus d’ailleurs que des partis communistes au pouvoir. Avec son parti, avec le front Viet-minh il doit faire face à la tentative française de reconquête et mener une guerre longue et difficile.
Le triomphe de la révolution chinoise en 1949 lui permet d’aller plus vite à la victoire et de montrer en 1954 (Dien Bien Phu) que les peuples opprimés peuvent battre leurs oppresseurs. Mais le jeu des grandes puissances et même, semble-t-il, de la Chine populaire lors des négociations de Genève frustre son peuple d’une grande partie de sa victoire. La partition du pays est grosse de nouveaux conflits.
Confronté en 1960 à la création du F.N.L. dans le Sud, puis à partir de 1961 à une intervention américaine de plus en plus massive, le vieux lutteur et ses compagnons n’ont pas craint de remettre en jeu l’acquis (la R.D.V. au Nord) pour défendre l’intérêt du peuple tout entier. Face à l’escalade américaine, face à une des agressions les plus barbares de l’histoire ils ont tenu bon et donné sans compter leur aide aux combattants du Sud. L’entreprise impérialiste la plus puissante de tous les temps est allée de ce fait d’échec en échec, la démonstration néo-colonialiste et impérialiste de Johnson et du Pentagone qui devait aux yeux de tous démontrer l’impossibilité de la « subversion communiste » s’est retournée contre ses auteurs. En fait c’est le peuple vietnamien qui a montré au monde entier que l’ordre capitaliste et impérialiste était vulnérable malgré le recours aux techniques de destruction les plus perfectionnées.
Grâce au peuple vietnamien, grâce à Ho Chi Minh de 1964 à 1968 un véritable tournant s’est opéré dans l’histoire mondiale. Après des années d’assoupissement les étudiants, les jeunes travailleurs des pays impérialistes, frappés par la lutte exemplaire des combattants vietnamiens, ont réappris la lutte. Dans les pays dominés par l’impérialisme la lutte du peuple du Vietnam (du Nord au Sud) a nourri la réflexion des révolutionnaires, suscité de nouvelles énergies. D’ores et déjà, malgré des échecs successifs, les révolutionnaires d’Amérique latine se préparent à de nouvelles actions.
Ho Chi Minh était très conscient des implications internationales des affrontements qui se déroulaient et se déroulent encore dans son pays. En novembre 1967, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la Révolution d’octobre, il publia un article dans l’organe central du Parti des travailleurs du Vietnam, qui était un véritable appel à la solidarité internationaliste, à la coordination entre l’action des mouvements de libération nationale et sociale des pays dits du tiers monde, l’action du mouvement ouvrier des pays capitalistes développés et l’action des pays non capitalistes (de la Chine à l’U.R.S.S.). Sous sa plume, les concepts de révolution mondiale, d’internationalisme prolétarien retrouvaient une nouvelle jeunesse. Ho Chi Minh n’instituait aucune hiérarchie entre les trois secteurs de la révolution socialiste, il montrait bien plus leur étroite interdépendance et leur complémentarité sur le plan stratégique, quelle que soit par ailleurs l’importance tactique d’un secteur à un moment donné. Il ne subordonnait pas plus le combat dans les pays capitalistes que celui dans les pays sous-développés aux hypothétiques succès d’un tout aussi hypothétique camp socialiste. Pour lui, tous devaient contribuer par le maximum d’efforts à l’entreprise communiste.
On a beaucoup épilogué pour savoir s’il était pro-soviétique ou pro-chinois. En réalité, sa position ne pouvait être définie par des étiquettes aussi commodes. Ce qu’il défendit jusqu’à son dernier souffle par ses rappels constants à l’internationalisme prolétarien, c’est une certaine conception du mouvement ouvrier international marquée par ce qu’il y avait de meilleur dans l’Internationale communiste post-léninienne. Les sceptiques peuvent sourire de cette référence aux principes et la trouver naïve à une époque où les dirigeants soviétiques ne s’embarrassent guère de principes, mais tous ceux qui se refusent à jouer les blasés saisiront bien, eux, que par là Ho Chi Minh, le vétéran, tendait la main aux nouvelles générations qui, sur les décombres du chauvinisme de grande puissance, du bureaucratisme, de l’opportunisme, bâtiront le nouvel internationalisme et la nouvelle fraternité des exploités.
La mort d’Ho Chi Minh est une grande perte pour son peuple. Mais le meilleur hommage qu’on puisse lui rendre est de constater qu’elle n’est pas pour le Vietnam une tragédie, un coup porté à son combat. Ho Chi Minh n’était pas le coryphée de la Révolution, la lumière de la science universelle marxiste-léniniste. Il était tout simplement et bien plus un combattant parmi d’autres.





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(1934-2004)